Blick fait le bilan de la crise sanitaire
La Suisse est 2e mondiale dans sa gestion du Covid

Avec un économiste de l'université de Saint-Gall, Blick a évalué la politique de 45 pays pour gérer la pandémie de Covid-19. Score de la Suisse, état des pays voisins et politique à venir... L'étude révèle des données surprenantes.
Publié: 16.03.2022 à 16:49 heures
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Dernière mise à jour: 17.03.2022 à 10:51 heures
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Le conseiller fédéral Alain Berset, chargé de la Santé, peut se réjouir des résultats de cette étude.
Photo: keystone-sda.ch
Fabienne Kinzelmann, Priska Wallimann et Raphael Röthlin

On fera les comptes à la fin! Ce fut le mantra du Conseil fédéral durant la pandémie. Qui vivra verra, pourrait-on aussi dire. Lorsque le Covid-19 a commencé à sévir, la Suisse a pris des mesures moins restrictives que la plupart de ses voisins: la France a imposé un couvre-feu, les Allemands ont fermé leurs pistes de ski, les Autrichiens ont même brièvement émis une obligation vaccinale avant de rétropédaler.

En comparaison, nos restaurants et bars sont restés plus longtemps ouverts que ceux de nos voisins pendant la deuxième vague, nos pistes de ski ont servi d’échappatoire aux touristes allemands et autrichiens, nos enfants sont restés sur les bancs de l’école lorsque leurs camarades du monde entier bûchaient sur une table de cuisine, sous l’œil de leurs parents en télétravail.

Laxisme meurtrier? Le calcul s’est au contraire révélé payant. Une analyse qui pondère les restrictions de nos libertés, l’impact des mesures sur l’économie et la surmortalité, plutôt que de se concentrer sur le nombre de cas et de décès, constate que la Suisse obtient un excellent résultat, deux ans après le premier cas de Covid-19.

Mortalité plus élevée, mais économie en meilleure santé

Notre analyse a été menée en collaboration avec Stefan Legge, macro-économiste et enseignant à l’université de Saint-Gall. Dans cette étude, la Suisse arrive en tête de peloton, à la deuxième place juste après la Norvège, dans le classement des pays qui ont le mieux traversé la pandémie de Covid-19.

«La Suisse s’est bien comportée par rapport à d’autres pays», affirme Stefan Legge à propos des vagues pandémiques parfois dramatiques dans notre pays: «Certes, la Suisse a globalement une surmortalité un peu plus élevée. Mais la différence n’est pas si grande par rapport aux pays où les mesures ont été beaucoup plus sévères.»

Selon lui, certaines données comme la surmortalité ou l’inflation sont surinterprétées: «Les indicateurs sont liés. Un pays ne se développe pas bien uniquement parce que le chômage est bas à un moment donné, et la croissance économique peut être faussée à court terme par des décisions politiques.»

L’économiste en est convaincu: la Suisse a pris les bonnes décisions: «Avec les indemnités de chômage partiel et les fonds d’aide, le gouvernement a fait quelque chose en matière de politique fiscale. La croissance économique est bonne, mais l’inflation reste faible.»

La Nouvelle-Zélande et l’Allemagne font moins bien que nous

Stefan Legge a analysé 45 pays selon cinq indicateurs: le bilan de santé, la sévérité des mesures, l’évolution de l’économie, celle de l’inflation, ainsi que le soutien de la politique fiscale, dont la distribution de paquets d’aides fait partie, par exemple. Ces pays représentent environ 63% de la population mondiale et 88% du produit intérieur brut mondial. Toutes les données n’ont pas toujours été accessibles pour tous les pays: c’est le cas de la Chine, par exemple, qui n’a pas publié de données sur la surmortalité de sa population.

Les données utilisées pour les évaluations de Stefan Legge proviennent par exemple du Fonds monétaire international (FMI) ou de l’Université d’Oxford, qui a résumé en chiffres les restrictions étatiques en matière de lutte contre le Covid-19 dans l'«Oxford Stringency Index». L’indice montre, par exemple, que la Suède a pris en moyenne des mesures plus sévères que la Suisse. D’autres pays – en particulier les États insulaires – sont parvenus à maintenir cette valeur à un niveau bas grâce à des mesures ciblées et à une forte isolation vis-à-vis de l’extérieur – ce qui a permis à leur propre population de mener une vie relativement normale, sans avoir à déplorer en même temps un nombre élevé de décès.

Ce qui est plus surprenant, c’est que certains pays jugés comme modèles dans leur gestion ne s’en sortent pas si bien dans le classement général de cette étude. Sur la base des données disponibles, la Nouvelle-Zélande se situe cinq places derrière la Suisse. Et les répercussions économiques pourraient encore s’y aggraver: la Première ministre, Jacinda Ardern, applaudie pour sa gestion de la crise, est actuellement sous pression à cause de l’augmentation de l’inflation. L’Allemagne, avec sa politique de pandémie averse aux risques, se situe juste devant la Suisse en termes de surmortalité et à la 25e place du classement général – les restrictions sévères ont exigé entre autres de fortes mesures de politique fiscale, ce qui a des répercussions négatives sur le bilan.

La dernière place est occupée – juste après les États-Unis – par les pays en développement et émergents. Le seul pays européen loin derrière est la République tchèque (41e). Des mesures relativement tardives et peu nombreuses, ainsi que la désinformation et les cyberattaques russes contre des infrastructures critiques, pourraient avoir joué un rôle dans ce résultat.

Une vue d’ensemble de la crise du Covid-19

«La Suisse n’a pas connu d’effondrement économique drastique, ni de restrictions drastiques, ni de surmortalité drastique», résume Stefan Legge en présentant ses résultats. Mais il précise également que les chiffres doivent être interprétés avec prudence. Le classement ne montre que partiellement la pertinence ou non des réactions et décisions politiques. Il ne prend pas non plus en compte toutes les données qui peuvent être analysées.

Il ne considère pas, par exemple, la précocité de la maladie dans un pays, le nombre de personnes qui se sont retrouvées aux soins intensifs ou la rapidité avec laquelle les vaccins ont été disponibles. La qualité des données et la pondération des cinq indicateurs ne peuvent pas non plus être discutées avec certitude. Mais l’évaluation donne un aperçu solide de la manière dont les pays ont globalement traversé ces deux dernières années de crise.

«Bien sûr, nous recommandons la fermeture des écoles lorsque celles-ci deviennent des clusters d’infection. Mais la possibilité de maintenir les écoles ouvertes de manière aussi sûre que possible pour le bien de la société peut l’emporter sur ce risque», avait pointé l’épidémiologiste bâloise Emma Hodcroft dans une interview accordée au «SonntagsBlick» au début de la vague d’Omicron. «Les décisions politiques ne peuvent pas être prises dans le vide, et elles ne sont pas simples.»

Le modèle suisse ne serait pas applicable partout

Certains pays n’ont tout simplement pas eu de chance avec l’arrivée du virus. C’est le cas de l’Italie, par exemple, où les premiers cas de Covid-19 ont été confirmés dès le 31 janvier 2020. De premiers foyers de contamination y sont également apparus avant même que le premier cas de malade ne soit enregistré en Suisse. Traumatisés par la première vague, qui les a forcés à opérer des tris drastiques dans les services de soins intensifs et à laisser mourir de nombreuses personnes, les Européens du Sud ont également eu tendance à imposer de fortes restrictions par la suite.

Si la situation a été dramatique pour l’Italie, elle a aussi été instructive pour les pays voisins. Pour la Suisse, prendre en compte ce qui se passait au-delà d’une de ses frontières l’a aidée à réagir rapidement et de manière appropriée. De plus, le pays a affronté la pandémie avec une population relativement saine, un très bon système de santé et une économie forte. Cela a probablement permis d’éviter le pire et a donné au gouvernement une marge de manœuvre. Dans un autre pays, des mesures aussi légères auraient pu avoir des conséquences bien plus graves. L’étude ne dit toutefois pas à quel point les mesures auraient dû être plus fortes pour réduire la surmortalité de manière significative.

Ces bons résultats ne doivent pas faire penser que la Suisse a fait tout juste. Derrière chaque décès et chaque évolution grave de la maladie, il y a toujours des personnes, leurs familles et leurs amis qui ont souffert de la situation.

Le Conseil fédéral a mal évalué à plusieurs reprises la situation pandémique ou l’importance de simples mesures de protection comme les masques. En ouvrant les portes des hôtels et des bars aux skieurs étrangers, on a par exemple contribué lors de l’hiver 2020-2021 de la propagation du variant Bêta, plus contagieux et plus mortel. Une propagation qui a par effet de contamination sapé les efforts des pays voisins pour endiguer le virus et a suscité leur désapprobation.

Un pari risqué de la part du gouvernement?

«Encerclée» par des voisins européens avec des restrictions plus importantes, la Suisse a bénéficié de cette situation tenue sous contrôle autour d’elle, au détriment de la santé économique de ces pays plus sévères. Elle a même pu soulager quelque peu le système de santé de la France voisine en accueillant 52 patients atteints du Covid-19.

Une bonne action qui aurait été difficilement réalisable lors de la deuxième vague de contaminations: à cette époque, la Suisse a elle-même à peine réussi à prendre en charge ses propres malades. Contacté par Blick, l’Office fédéral de la Santé publique (OFSP) n’a pas indiqué si des demandes d’admission de l’étranger avaient dû être refusées. La Suisse a eu de la chance de ne pas avoir eu à dépendre des capacités hospitalières étrangères, même s’il s’en est fallu de peu.

Avec les mesures moins restrictives, la Suisse a connu un nombre élevé d’infections dans sa population. Il est difficile d'établir dans quelle mesure la protection de la liberté et de l’économie se répercute positivement ou négativement sur la population, en termes de santé mentale par exemple. Et il est d’autant plus ardu de comparer ces effets avec les conséquences à long terme du Covid long sur la santé ou des séquelles laissées par la respiration artificielle.

Difficile donc d’ignorer que le Conseil fédéral a pris un risque avec des mesures parfois laxistes et a parfois joué gros. Ou plutôt, il n’a pas arrêté de le faire: alors que de nombreux pays voisins se montrent encore prudents face au virus, le Conseil fédéral a déjà assoupli généreusement les mesures en Suisse le 16 février dernier. Deux ans après le premier cas de Covid dans le pays, même le port du masque semble en grande partie révolu, et la taskforce Covid sera dissoute fin mars.

Les infections repartent à la hausse

On ne sait pas encore si ces décisions seront payantes. Environ un mois après les assouplissements, le taux d’infection est, avec 317 cas pour 100’000 habitants (chiffre au 14 mars), plus élevé qu’à la mi-janvier, lorsque la vague Omicron culminait. Malgré une meilleure protection immunitaire de la population grâce aux personnes vaccinées et guéries, les décès et les hospitalisations pourraient bientôt repartir à la hausse.

Certains experts suisses du Covid semblent agacés par la politique sanitaire du Conseil fédéral, qu’ils jugent trop orientée à court-terme. «Quelque chose ne va pas si, à l’année trois de la pandémie, il n’y a toujours pas eu d’amélioration concernant les systèmes de renouvellement de l’air et davantage de masques […]», a par exemple tweeté la virologue genevoise Isabella Eckerle le 21 février.

Récemment, cette scientifique a en outre averti que la situation était bien plus complexe que la simple question de savoir si les lits de soins intensifs étaient libres ou occupés. La guerre entre l’Ukraine et la Russie ne doit pas non plus être occultée: les conflits et les pandémies qui traînent plongent tout le monde dans une situation inconnue qui ne laisse présager rien de bon.

La Suisse est-elle préparée pour une nouvelle pandémie?

Deux ans après le début de cette crise sanitaire, la Suisse célèbre une partie de sa liberté retrouvée sans avoir pour autant répondu à certaines questions fondamentales. La responsabilité de l’acquisition de matériel sanitaire en cas de pandémie, par exemple, n’a pas encore été attribuée. C’est la pharmacie de l’armée qui a dû s’en charger au dernier moment en Suisse avec l’arrivée du Covid, mais la loi sur les épidémies n’a pas encore été révisée.

La confiance dans le gouvernement a également diminué. Le Conseil fédéral et le Parlement ont perdu neuf votes depuis les élections de 2019, une première. Bien qu’une grande partie de la population soit favorable à l’assouplissement des mesures, beaucoup sont méfiantes. Selon le dernier sondage Covid de l’institut de recherche Sotomo, la part des personnes interrogées qui accorde une grande ou très grande confiance à la politique du Conseil fédéral en matière de pandémie est passée de 53 à 45%. En parallèle, la part des personnes avec une confiance faible ou très faible est passée de 33 à 31%.

De son côté, le Conseil fédéral a commandé un rapport sur la gestion de la crise. D’ici aux vacances d’été, le bureau Interface de Lucerne devra déterminer si la Confédération et les cantons ont réagi à temps et de manière appropriée à la menace du Covid-19.

Personne ne peut savoir quelles seront les conséquences de la prochaine vague, ou si, dans le pire des cas, un nouveau virus devait faire son apparition. Mais la Suisse peut certainement tirer une leçon de cette situation: une économie forte ne peut pas faire de mal, avant comme après une crise.

(Adaptation par Louise Maksimovic et Jocelyn Daloz)

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