Greenpeace a récemment tiré la sonnette d’alarme. Selon une étude commandée par l’organisation environnementale, les jets privés des participants au World Economic Forum (WEF) ont émis 9700 tonnes de CO₂ pendant la semaine du WEF de l’année dernière, ce qui correspond aux émissions hebdomadaires de 350’000 voitures! Lundi matin, des activistes du mouvement «Debt for Climate» se sont d'ailleurs rassemblés sur l'aérodrome d'Altenrhein, à Saint-Gall, pour dénoncer cette aberration écologique - et essayer de perturber l'arrivée des jets privés des participants au forum.
Le trafic aérien intercontinental - notamment pour les voyages de vacances - est, lui aussi, à nouveau en pleine effervescence. La Thaïlande entend par exemple accueillir dès 2027 quelque 80 millions de touristes par an. Cela représente le double de touristes ayant séjourné dans le pays en 2019 (la dernière année avant la pandémie de Covid-19).
Pour assurer sa croissance dans les années à venir, le secteur du tourisme mise notamment sur des pratiques dites «durables». Mais nombreux sont ceux qui balaient d'un revers de main ces soi-disant promesses écologiques. Parmi eux, il y a André Lüthi, CEO du groupe d'agences de voyage Globettroter dont le siège est à Berne.
André Lüthi, à peine pouvons-nous à nouveau voyager librement que le secteur du voyage mise à fond sur la croissance. Qu'en est-il de la protection du climat dans tout ça?
Effectivement, certains acteurs du secteur n’ont pas tiré les leçons de la crise de coronavirus. Et ce, alors qu'il y a eu une prise de conscience au sein d'une part de la population: l’impact social des voyages et le dérèglement climatique sont au centre des préoccupations d’un nombre croissant de voyageurs. Pendant la pandémie, de nombreuses réflexions ont été menées sur le comportement des voyageurs.
Le voyage ne devient-il pas plus propre grâce aux progrès technologiques, permettant ainsi une croissance à court, moyen et long-terme?
La croissance ne peut être supportée que si les émissions de gaz à effet de serre diminuent également. Les constructeurs d’avions et de nombreuses autres industries ont fait d’énormes progrès à cet égard au cours des dernières années. Mais pour une mobilité plus propre, il faut encore plus de développement, plus de recherche, de nouvelles technologies. Cela coûte extrêmement cher. Qui doit payer?
Dites-le nous.
Il faut immédiatement créer et appliquer une taxe CO₂ sur tous les vols. Cet argent doit ensuite être intégralement - et je dis bien intégralement - utilisé pour la recherche et le développement de technologies de mobilité encore plus respectueuses de l’environnement.
La loi révisée sur le CO₂, qui prévoyait une telle taxe, a été rejetée par les électeurs suisses le 13 juin 2021.
Parce que l’argent récolté grâce à cette taxe n'aura pas été entièrement investi dans la protection du climat et de l'environnement. Sinon, la votation aurait été acceptée, de mon point de vue.
Si les voyageurs sont plus soucieux de l’environnement, ils peuvent compenser volontairement le CO₂ via des instruments existants. Alors pourquoi exiger une nouvelle taxe?
Il faut des mesures plus strictes qu’une compensation volontaire. D’une part, celle-ci est bien trop peu utilisée. D’autre part, je ne suis pas fan de ce «commerce des indulgences». Il ne change pas le comportement de consommation, mais élimine les remords en contribuant à une amélioration quelque part dans le monde. Personne ne sait exactement ce qui est fait de l'argent issu de la compensation volontaire - et personne ne s'y intéresse véritablement. En outre, de nombreux projets financés par cette compensation ont déjà été abandonnés. Toujours est-il que la compensation nous sensibilise à la thématique. Et en ce qui concerne les taxes: chacun paie sans problème une taxe d’aéroport et une taxe de sécurité. Pourquoi une contribution pour le climat n’est-elle pas acceptée?
Alors pourquoi ne pas montrer l’exemple? Globetrotter introduit-il désormais une taxe sur le CO₂?
Non, car cette mesure ne peut pas être prise en solo. Le mieux serait de l’introduire à l’échelle mondiale. Mais ce sera difficile. Peut-être pouvons-nous apporter une petite contribution en proposant moins de courts «city-trips» avec des vols bon marché.
Mais dans ce cas, nous voyagerons moins.
Oui et non. Nous avons triplé notre chiffre d’affaires après la pandémie de 2022. Mais cette croissance ne s'est pas traduite par une augmentation significative du nombre de passagers. Cela ne signifie pas que les touristes ont voyagé trois fois plus – mais que ces derniers ont dépensé plus. Par exemple, les prix des billets d'avion ont augmenté de 30% depuis 2019. C’est comme ça que ça marche. On ne peut pas interdire les voyages. Mais on peut voyager de manière plus réfléchie.
Si les voyages deviennent plus chers, beaucoup de personnes ne pourront plus s’offrir de vacances.
Je ne suis pas d’accord. Autrefois, les voyages coûtaient aussi plus cher. Il fallait alors économiser et se réjouir du voyage. Et on n’est pas allé à Majorque avec l’argent de poche pour deux jours. D’une manière générale, nous devons repenser notre comportement de consommation – et pas seulement en matière de voyages.