Après la polémique sur Facebook
Un appel à témoignage n’est pas un appel à la délation

Vendredi dernier, nous avons sollicité notre communauté Facebook pour qu'elle témoigne des supposées dérives complotistes de certains enseignants sur Genève. Face à l'avalanche de réactions, nous expliquons notre démarche.
Publié: 26.07.2021 à 16:53 heures
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Dernière mise à jour: 26.07.2021 à 17:26 heures
Image d'illustration.
Photo: MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE
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Michel JeanneretRédacteur en chef

Condamnés à mort comme Martin Bormann ou Hermann Göring. Pendus comme les dix autres dignitaires nazis exécutés le 16 octobre 1946 à Nuremberg pour complot, crime contre la paix, crime de guerre et crimes contre l’humanité. Voilà ce que certains internautes antivax semblent souhaiter aux journalistes de Blick depuis trois jours. A l’origine du véritable déferlement de haine auquel nous avons dû faire face ce week-end, un appel publié vendredi dernier à 16h51 sur notre page Facebook.

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En quelques secondes à peine, nous nous retrouvions sous une pluie diluvienne d’insultes. Et surtout face aux pires amalgames, à l’image de la réalité systématiquement tordue par la complosphère et une partie des antivax - on ne parle pas ici des personnes exprimant leurs doutes et leurs craintes, mais de celles diffusant plus ou moins sciemment de fausses informations. Deux communautés qui transforment incessamment les consensus scientifiques en «propagande d’Etat» et dénoncent sans aucun fondement des journalistes malhonnêtes, systématiquement «subventionnés» par celui-ci, ce qui n’est pas le cas de Blick et de la grande majorité des médias suisses.

Pas étonnant que rien - ou presque - ne nous ait été épargné. «La Gestapo débarque», «Des méthodes qui rappellent de mauvais souvenirs», «Ça s’appelle de la délation, non, ce que vous proposez?», «Dénoncez les théories marxistes tenues par les enseignants de gauche», «Voici revenue la chasse aux sorcières», «Bienvenue en URSS», «Bande d’idiots», «Dérive haineuse», «On ne peut pas laisser Vichy entrer en Suisse», «Les plus grands criminels de l’histoires du XXIe siècle sont les journalistes»... jusqu’à ce «Vivement Nüremberg 2!»

Un appel à témoignage légitime

Notre appel à témoignage – un classique du journalisme utilisé depuis la nuit des temps pour tenter de cerner une problématique – nous aura non seulement valu un procès d’intention, mais également toutes les condamnations possibles et imaginables, sans pouvoir juger le plus important: l’article sur lequel notre démarche va éventuellement déboucher. Inlassablement, il nous faut expliquer, même nos méthodes les plus banales. Dont acte.

A l’origine de notre démarche, une révélation publiée la veille: l’enseignante genevoise Chloé Frammery est suspendue de ses fonctions par le Département de l’Instruction publique genevoise le temps d’une enquête. Lui sont reprochées des prises de positions publiques susceptibles de violer le devoir de réserve des fonctionnaires. Plus grave encore, elle aurait tenu en classe des propos déplacés n’ayant aucun lien avec les maths, la matière qu’elle enseigne au niveau du cycle (12 à 15 ans).

En octobre dernier, le site d’information Heidi.news écrivait en effet que Madame Frammery «aurait affirmé que le réchauffement climatique n’existait pas, se serait écriée 'tu vas mourir' à un élève qui prenait une pastille contre les maux de gorge et aurait suggéré à sa classe d’aller voir le site de l’humoriste Dieudonné, condamné à de multiples reprises en France pour antisémitisme et incitation à la haine raciale (ndlr. depuis, Dieudonné a également été condamné en Suisse)».

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En séance de rédaction, à la suite de la publication de notre article révélant la suspension temporaire de Chloé Frammery, nous nous sommes rendu compte qu’une partie des journalistes présents avaient été confrontés à des professeurs tenant en classe des théories contraires au consensus scientifique, parfois complotistes. Des témoignages basés à Genève, issus de personnes crédibles, dont un étayé par une bande sonore édifiante, prise discrètement par un élève stupéfait des propos tenus régulièrement par son prof.

Ces témoignages sont-ils le fruit d’exemples totalement isolés? L’école publique abrite-t-elle au contraire un nombre inquiétant d’enseignants qui dérogent à leur responsabilité en professant de fausses informations? Pour cerner le phénomène – ou peut-être son absence, ce que nous espérons sincèrement, nous avons donc décidé de faire ce que font les journalistes: enquêter sur le terrain, récolter des témoignages, vérifier leur validité et, en présence d’un problème, confronter les autorités pour savoir comment elles luttent contre ce qui est une atteinte claire aux buts de l’enseignement public. Pour finalement publier un article honnête et mesuré.

Des professeurs pas dénoncés nommément

Il n’appartient bien évidemment pas à Blick de dénoncer nommément les professeurs identifiés dans notre enquête. Ni auprès du Département de l’Instruction publique dont c’est bien évidemment le travail de faire en sorte que ce genre de débordement n’arrive pas. Face à des enfants qui sont en train de former leur opinion sur le monde, au sein d’une école censée les préparer au mieux à l’affronter, notre enquête se situe donc aux fondements même du journalisme.

Les médias («merdias») sont régulièrement la proie de tous les fantasmes. Les journalistes («journalopes») qui les animent, forcément vendus, seraient les ennemis de la démocratie et du débat. Or il n’y a plus de débat, que des invectives. Les journalistes sont même directement menacés, comme certains de nos confrères et consoeurs romands l’ont également été ces derniers mois. En cause, la radicalisation de celles et ceux qui doutent des évidences scientifiques. Il convient de rappeler que ça n’est pas le journalisme, mais son absence, qui fait planer la menace d’un retour au totalitarisme. C’est la raison pour laquelle nous ne baisserons pas les bras.

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