Vous vous souvenez de votre dernière visite chez le médecin? À tous les coups, il ou elle a réussi à vous diagnostiquer un truc. Sans doute un bobo futile et indolore. «Mais je vais quand même vous prescrire sept jours de Pyostacine 500. Comme ça, on est sûrs. C'est plus prudent, hein?» – vous noterez la question purement rhétorique.
Eh bien, moi aussi. Ce n’était pas lors de ma dernière visite, mais lorsque j’avais six mois. La pédiatre, dont le cabinet vétuste se trouve au numéro trente-trois de la rue (ça ne s’invente pas), réussit à me diagnostiquer un truc. Une amyotrophie spinale proximale de type 2. Sans doute un bobo futile et indolore. «Mais votre enfant ne marchera probablement jamais et perdra continuellement de la force, jusqu’à ne plus pouvoir respirer par ses propres moyens. Inutile de vous dire qu'il n’existe aujourd'hui aucun remède. C'est une maladie héréditaire, génétique», lance, en guise de faire-part de naissance, la femme en blanc à mes ascendants.
22 ans plus tard: la pédiatre du trente-trois de la rue est à la retraite, mes ascendants ont divorcé, mon médecin a dû me prescrire une bonne dizaine de fois du Pyostacine 500 (c'est plus prudent, hein?) et moi (encore), effectivement, je n’ai jamais été un bipède parmi les bipèdes, je n’ai plus suffisamment de force musculaire pour me gratter la truffe ou abattre le moustique attablé à mon bras droit, mais, contrairement au diagnostic, pour l’instant, je respire toujours par mes propres moyens.
«Une belle leçon de courage»
Sur ces belles notes triomphantes, Karine, 56 ans, de Vufflens-le-Château dans le canton de Vaud, grande adepte de Blick, s’apprête déjà à commenter
«Magnifique, vous êtes une belle leçon de courage! Bravo»
Eh bien calmez-vous, Karine. Car, vous savez, comme tout le monde, j'ai mes défauts (un bonjour à Natasha St-Pier). Millenial, journaliste, métisse, hirsute, agnostique, abstème, social-libéral et astigmate. Voyez par vous-même, j'ai aussi ma part sombre, Karine.
Par contre, c'est vrai, il faut bien le reconnaître: beaucoup n’en ont cure de mes travers. Car, avant toute chose, je suis handicapé. Du moins, c’est ce que veut retenir la société. Quatre roues, l’impossibilité de faire de la varappe, ou de la harpe (vous choisirez), et me voilà devenu le Clark Kent des assurances sociales, la Simone de Beauvoir des allocations pour impotents, le Che des établissements socio-éducatifs. Alors que, franchement, je suis certainement bien plus proche d’être le Claude François des créneaux en fauteuil roulant dans ma cuisine - malheureusement livré sans Handicapettes. Des invalides tout aussi cons que les autres.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres à venir, au travers de «Jamais mieux servi que par soi-même», votre chronique garantie 100% pas toujours accessible, on explorera, chaque semaine, avec cynisme, franc-parler et philosophie, ce que c’est que d’être «en situation de handicap», aujourd’hui, dans notre monde aussi étrange que fascinant. Parce que, finalement, ces personnes – au même titre que celles qui sont homosexuelles, transgenres, noires, blanches, racistes, connes –, vous les croisez sans doute régulièrement. Peut-être même parfois sans vous en rendre compte.
En revanche, à chaque fois qu’on nous entend parler dans les médias, c'est pour nos exploits et notre pugnacité. Quid, alors, de nos démons, de notre rugosité, de notre réalité, de nos avis divergents, de notre bêtise, bref, de notre vie normale? Qui sont ces «invalides», tout aussi homosexuels, transgenres, noirs, blancs, racistes et cons que les autres? Sont-ils différents? Sommes-nous différents dans la différence? Eh bien, peut-être pas tant que ça. Vous verrez.