Pour Yves Rossier, ancien ambassadeur de Suisse à Moscou, la Russie est comme une deuxième patrie. Il se souvient de ses rencontres «agréables» avec le président russe Vladimir Poutine. Le puissant chef d’Etat l’aurait écouté attentivement lors de ces entrevues. Dans un entretien avec les journaux du groupe CH-Media, il avait déclaré que l’Europe aurait pu devenir une puissance mondiale «mais seulement avec la Russie». Il parlait alors d'«occasion manquée».
Cette occasion manquée, les Russes la regretteraient plus encore que les Européens, d’après ce qu’a pu observer Yves Rossier. En effet, la dernière fois que le représentant s’est rendu à Moscou, c’était au mois de juin. Et il n’a plus reconnu le pays. L’ambiance y serait «pesante, sombre». «Je n’ai rien ressenti d’un patriotisme belliqueux…», ajoute-t-il.
La propagande n’aurait pas eu raison de la conscience de la population russe. D’après les échanges qu’a pu avoir Yves Rossier dans la capitale, il semblerait que les Russes ne soient de fait pas si crédules: «L’on m’a dit que nous ne devrions pas non plus croire tout ce qui est raconté en Occident», souffle-t-il, la propagande n’étant pas toujours une prérogative du Kremlin.
Tout devient plus cher
Ainsi, la plupart des Russes sauraient en réalité ce qui se passe dans le pays, et ce que le monde pense de la Russie.
La vie en Russie devient de plus en plus difficile. Le départ de marques occidentales comme McDonald’s et Ikea est encore le plus facile à supporter. Après la chute de l’Union soviétique, les produits occidentaux incarnaient la «liberté» à la mode de l’Ouest. Depuis la déclaration de guerre de Poutine à Kiev, l’histoire semble tristement recommencer. Les rayons de supermarché en témoignent.
Le mécontentement grandirait dans le pays
Les médias russes, même proches du pouvoir, commenceraient eux aussi à tirer la langue. Mais la critique s’y fait encore le plus souvent sous forme cryptique. Comme à l’époque soviétique. Critiquer les dirigeants était alors tout un art – il faut le faire sans jamais les nommer. C’est toujours le cas aujourd’hui. La hausse des prix faisant aussi gronder la colère populaire…
Les pénuries et l’envolée des prix ont leur lot de conséquences très concrètes: les fabricants commencent à tricher, et les étiquettes frauduleuses se répandent peu à peu. Même le grand tabloïd moscovite Komsomolskaya Pravda, propriété entre autres de Gazprom, qui paraît dans tout le pays, révèle comment «les fabricants trichent sur les produits en temps de crise pour ne pas augmenter les prix».
Gare aux prix qui n’augmentent pas
Or, si le prix d’un produit n’augmente pas du tout, la prudence est de mise, prévient le journal. Matériaux d’emballage, matières premières, même les épices… beaucoup de choses ne peuvent plus être importées. Le journal parle d’une inflation de 17%. Et la qualité de ces produits serait de plus en plus mauvaise.
Les fabricants rétrécissent les emballages, déplore le journal, ou bien la composition est «optimisée». Ainsi, les bouteilles de bière ou les paquets de beurre ont depuis longtemps diminué de taille. On parle de «shrinkflation», dérivé du verbe anglais «shrink», rétrécir. Ou alors, on utilise des substituts moins chers et de moindre qualité. Les produits sont ainsi raffinés et «dilués», dit-on, «l’huile d’olive ou de tournesol habituelle peut avoir un goût légèrement modifié».
Le gouvernement et les autorités semblent concentrés sur la guerre. Les contrôles alimentaires auraient ainsi également diminué. «On ne peut plus que compter sur l’honnêteté des producteurs…», conclut le tabloïd moscovite.