Naufrage dans la Manche
Paris et Londres s'écharpent autour de la crise migratoire

La crise entre Paris et Londres a franchi un nouveau cap vendredi, avec l'annulation par la France de la présence britannique à une réunion consacrée à la crise des migrants. Les tensions étaient déjà récurrentes autour des litiges de pêche post-Brexit.
Publié: 26.11.2021 à 13:55 heures
Le Premier ministre britannique Boris Johnson a publié la lettre envoyée au président français Emmanuel Macron sur Twitter (archives).
Photo: Alastair Grant

La décision de Paris fait suite à une lettre du Premier ministre britannique Boris Johnson au président français Emmanuel Macron publiée sur Twitter jeudi soir, lui demandant de reprendre les migrants arrivant en Angleterre depuis la France, au lendemain d'un naufrage dans la Manche qui a fait 27 morts.

Au-delà du contenu de la lettre, c'est sa publication qui a ulcéré la France. «Je suis surpris des méthodes quand elles ne sont pas sérieuses», a lancé Emmanuel Macron, en visite à Rome.

«On ne communique pas d'un dirigeant à l'autre sur ces questions-là par tweets et par lettres qu'on rend publiques, nous ne sommes pas des lanceurs d'alerte», a souligné le président français.

Dans un message à son homologue britannique Priti Patel, le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin estime que si la lettre est une «déception», sa publication est «pire» encore. En conséquence de quoi, il a annulé la venue de Mme Patel à Calais (nord) dimanche.

Malgré ces propos très durs, Londres a demandé à Paris de rétablir l'invitation à sa ministre de l'Intérieur. Etaient invités les ministres chargés de l'immigration belge, allemand, néerlandais et britannique, ainsi que la Commission européenne.

«Aucune nation ne peut s'attaquer à cela seule. J'espère que les Français reconsidéreront (leur décision)», a déclaré le ministre des Transports, Grant Shapps, sur la BBC.

Ce différend intervient moins de deux jours après le naufrage d'un navire au large de Calais, qui a entraîné la mort de 27 migrants : 17 hommes, sept femmes et trois jeunes.

Il s'agit du drame migratoire le plus meurtrier depuis la hausse en 2018 des traversées de la Manche, face au verrouillage croissant du port de Calais et du tunnel ferroviaire, empruntés jusque-là.

La question des traversées, sujet régulier de tensions bilatérales, est délicate pour le gouvernement conservateur britannique, qui a fait de la lutte contre l'immigration son cheval de bataille dans la foulée du Brexit et voit la côte sud de l'Angleterre confrontée depuis des mois à des arrivées massives de migrants.

Si la France et le Royaume-Uni semblaient jusqu'ici vouloir taire leurs désaccords et améliorer leur coordination, la demande de Boris Johnson a crispé Paris.

«Je propose que nous mettions en place un accord bilatéral de réadmission pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche», a-t-il indiqué dans sa lettre, évoquant des accords similaires conclus par l'Union européenne (UE) avec le Bélarus ou la Russie. Semblant sur la même longueur d'ondes, Priti Patel a appelé à un «effort international coordonné», devant les députés britanniques.

«Il y en a marre des doubles discours et de l'externalisation permanente des problèmes» par le Royaume-Uni, a déploré le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, sur la chaîne BFMTV. «C'est à se demander maintenant si Boris Johnson ne regrette pas d'avoir quitté l'Europe, parce que dès qu'il a un problème il considère que c'est à l'Europe de le gérer !», a-t-il insisté.

Interrogé pour savoir si Paris allait dénoncer les accords du Touquet, qui fixent depuis 2004 la frontière britannique sur la côte française, en échange d'une compensation financière, le porte-parole du gouvernement français a répondu que, quels que soient les accords en vigueur, «vous ne pourrez jamais changer ni la géographie, ni les équilibres géopolitiques ni le désir de migrants qui ont envie de se rendre en Grande-Bretagne».

Au 20 novembre, 31'500 migrants avaient quitté les côtes françaises pour la Grande-Bretagne depuis le début de l'année.

Au-delà de cette question, les tensions se sont accumulées des deux côtés de la Manche depuis le Brexit, en premier lieu sur la pêche. La France agite la menace de sanctions si ses pêcheurs n'obtiennent pas plus de licences pour opérer dans les eaux britanniques.

La crise de confiance s'est en outre aggravée lorsque Paris a découvert en septembre que Washington, Londres et Canberra avaient négocié en secret un accord de partenariat stratégique. La France a perdu par ricochet un méga-contrat de vente de sous-marins à l'Australie.

(ATS)

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