Sommet avec l'Iran et la Turquie
Pourquoi Vladimir Poutine a été éconduit à Téhéran

Vladimir Poutine était en visite à Téhéran pour un sommet avec les chefs d'Etat turc et iranien. Là où il avait imaginé solidarité et soutien dans la lutte contre l'Occident, il n'y avait qu'un coup de publicité. Explications.
Publié: 21.07.2022 à 11:54 heures
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Dernière mise à jour: 21.07.2022 à 12:56 heures
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Les discussions ont porté sur la Syrie... et sur l'Ukraine. Vladimir Poutine espérait trouver du soutien.
Photo: AFP
Chiara Schlenz

Ce n’était que son deuxième voyage à l’étranger depuis le 24 février – le début de la guerre en Ukraine. Le chef du Kremlin Vladimir Poutine s’est rendu ce mardi à Téhéran pour y négocier avec les chefs d’État iranien, Ebrahim Raisi, et turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’une rencontre au sommet.

Peu avant, le président américain Joe Biden s’était déjà rendu au Proche-Orient. La date du voyage de Vladimir Poutine n’a donc pas été choisie au hasard, selon les explications de Maurus Reinkowski, expert de la Turquie et professeur d’islamologie à l’université de Bâle: «La Russie voulait ainsi prouver qu’elle avait ses propres partenaires dans la région.»

«La Russie a plus besoin de l’Iran que l’inverse»

Officiellement, la rencontre portait sur la situation en Syrie. Mais officieusement, la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales ont largement été abordées. Vladimir Poutine se serait rendu à Téhéran avec l’intention d’aller chercher du soutien auprès de ses alliés, et ainsi donner un signal d’alarme à l’Occident. L’Iran serait un partenaire stratégique puisque le pays est aussi sous la cloche des sanctions européennes.

«La Russie a actuellement plus besoin de l’Iran que l’inverse en raison de la guerre en Ukraine, mais les deux pays ont une préoccupation commune: leurs relations hostiles avec l’Occident», explique Maurus Reinkowski. Les chances d’un soutien iranien semblaient donc relativement élevées.

Poutine a mal calculé son coup

L’expert détaille: «L’Iran a une expérience de plusieurs dizaines d’années avec les sanctions occidentales. La Russie peut apprendre quelque chose de l’Iran, et il y a là des intérêts communs. L’Iran et la Russie partagent en outre le souci de repousser l’influence de l’Occident dans la région élargie du Moyen-Orient.»

Mais le président russe a mal calculé son coup: l’Iran ne s’engagera pas de manière contraignante vis-à-vis de la Russie. De même, les livraisons de drones de l’Iran à la Russie, annoncées par les Etats-Unis, continuent d’être démenties avec véhémence. «L’Iran se gardera bien de se laisser entraîner directement dans le conflit ukrainien en tant que partisan de la Russie», estime l’expert.

La Russie et l’Iran ne sont que des amitiés de circonstance

Le fait que Vladimir Poutine n’obtienne même pas le soutien de ses supposés alliés s’explique simplement: les rapprochements entre l’Iran et la Russie ne sont que des amitiés de circonstance, selon Maurus Reinkowski.

Selon l’expert, «il s’agit d’une question de pouvoir et de géopolitique. On ne devrait donc pas vraiment parler d''amis. Aucun des trois ne fait fondamentalement confiance à l’autre. Il s’agit d’un certain bénéfice que les trois acteurs veulent tirer d’une collaboration conditionnelle, et pouvant être annulée à tout moment.»

Saper le régime de sanctions occidental

Le plus petit dénominateur commun des trois États: saper techniquement le régime de sanctions occidental. «Et encore, de manière limitée», estime Maurus Reinkowski.

Ni l’Iran, ni la Turquie ne voient d’un bon œil les visions «impérialistes» russes. La reconstitution d’un empire russe tel que l’ancienne Union soviétique n’est pas souhaitable de leur point de vue. Et ce pour une bonne raison: l’Iran et la Turquie ne souhaitent pas revivre l’expérience de l’expansion impériale de la Russie vers le sud.

La Russie veut continuer à séparer l’Iran et la Turquie

Pour Maurus Reinkowski, il est clair que la rencontre au sommet n’était qu’un coup de publicité réussi et rien de plus. «La rencontre a attiré l’attention du public et a démontré à l’Occident que l’on ne dépendait pas de lui.» Selon l’expert, un axe «Moscou-Téhéran» est, et reste improbable.

Il est néanmoins possible que la Russie tente de séparer encore davantage l’Iran et la Turquie de l’Occident. Mais il n’est pas certain que cela réussisse non plus. «Il y a cet intérêt de la Russie, mais l’Iran a de toute façon déjà des relations très tendues avec l’Occident. La Turquie continuera à essayer d’agir à son propre avantage tout en démontrant son indépendance.»

Il n’est toutefois pas encore temps de s’inquiéter d’un point de vue occidental. «La méfiance est saine, mais la confiance est mieux. Nous ne devons pas nous laisser aller à un pessimisme généralisé. Il nous paralyse et ne nous aide pas à maîtriser les défis à venir.»

(Adaptation par Mathilde Jaccard)


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