Après une journée de rébellion armée spectaculaire, qui a vu le président biélorusse Alexandre Loukachenko jouer le médiateur entre son homologue russe et le tempétueux chef de Wagner Evguéni Prigojine, ce dernier, qui avait promis la veille «de libérer le peuple russe» en lançant ses troupes vers Moscou, a finalement fait machine arrière afin d’éviter de faire couler le «sang russe».
Evguéni Prigojine partira pour la Biélorussie et les poursuites le visant seront abandonnées, a annoncé le Kremlin. «Nos colonnes font demi-tour et nous partons dans la direction opposée rentrer dans les camps, a déclaré Evguéni Prigojine. Il y était de l’intérêt supérieur d’éviter un bain de sang», a renchéri le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov dans la soirée, saluant «une résolution sans nouvelles pertes» de la crise.
Pour un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, «Prigojine a humilié Poutine/l’Etat et a montré qu’il n’y a plus de monopole de la violence». Les troupes de Wagner s’étaient approchées samedi à moins de 400 km de la capitale, après s’être notamment emparées dans la matinée du quartier général de l’armée russe à Rostov (sud-ouest), centre névralgique des opérations en Ukraine.
Les troupes Wagner ont quitté Rostov
Après avoir été acclamés par des dizaines d’habitants aux cris de «Wagner, Wagner!», ces combattants, avec leur chef à la tête du convoi, ont finalement quitté les lieux, a indiqué dans la nuit le gouverneur de la région. «La colonne du groupe Wagner a quitté Rostov et s’est dirigée vers ses camps», a indiqué Vassili Goloubev sur Telegram.
Vladimir Poutine avait menacé directement Evguéni Prigojine de poursuites judiciaires, mais l’enquête pénale le visant va donc être abandonnée et il pourra partir au Bélarus voisin.
Aucun des combattants du groupe Wagner, qui joue un rôle clé aux côtés de l’armée russe en Ukraine, ne sera d’ailleurs poursuivi pour le coup de force, selon le Kremlin. «Personne ne persécutera (les combattants), compte tenu de leurs mérites au front» ukrainien, a assuré Dmitri Peskov.
Une «trahison» pour Poutine
Si les termes de l’accord avec Wagner restent sujet à spéculations, le président biélorusse Alexandre Loukachenko, proche allié de Vladimir Poutine, semble avoir joué un rôle clé de médiateur. Selon ses services, c’est lui qui a proposé au chef de Wagner de cesser sa progression en Russie. «Nous sommes reconnaissants envers le président de la Biélorussie pour ces efforts», a salué le porte-parole du Kremlin.
Confronté à son plus grand défi depuis son arrivée au pouvoir fin 1999, le président Poutine avait tenté de garder la main face à cette rébellion inédite, dénonçant une «trahison» et agitant le spectre d’une «guerre civile».
Le Kremlin a parallèlement mis en garde les pays occidentaux contre toute tentative de «profiter de la situation intérieure en Russie pour atteindre leurs objectifs russophobes». La rébellion avortée de Wagner n’affectera «en aucun cas» l’offensive russe en Ukraine, a clamé son porte-parole dans la soirée.
La contre-offensive se poursuit en Ukraine
Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le coup de force de Wagner montre que «les dirigeants russes n’ont aucun contrôle sur quoi que ce soit» et que «l’homme du Kremlin a évidemment très peur».
L’armée ukrainienne a, elle, revendiqué samedi «des avancées dans toutes les directions» sur son front Est, où elle affirme avoir lancé de nouvelles offensives.
Assurant que l’Ukraine était désormais seule en charge de «la sécurité du flanc oriental de l’Europe», Volodymyr Zelensky a exhorté une nouvelle fois l’Occident à lui livrer «toutes les armes nécessaires», notamment des chasseurs F-16.
Restrictions levées
Certaines mesures de sécurité exceptionnelles prises en Russie face à l’avancée de Wagner ont commencé à être levées, notamment dans la région de Lipetsk, au sud de Moscou, où avaient pénétré des paramilitaires.
«Les restrictions imposées aujourd’hui commencent à être levées. Dans un avenir proche, nous rouvrirons l’accès aux routes de la région», a indiqué le gouverneur régional Igor Artamonov.
Le maire de Moscou avait appelé les habitants à limiter les déplacements en ville, qualifiant la situation de «difficile», et décrété lundi jour chômé.
Des restrictions de déplacements ont également été imposées dans la région russe de Kalouga, dont la capitale régionale est à 180 km au sud de Moscou.
L’heure est à l’apaisement
La crise en Russie a également été suivie de près par les chancelleries occidentales. Le président américain Joe Biden s’est entretenu samedi avec les chefs des gouvernements allemand et britannique, Olaf Scholz et Rishi Sunak, et avec son homologue français Emmanuel Macron, qui a évoqué un «impact possible» de cette rébellion sur la guerre en Ukraine.
L’heure semble donc désormais à un relatif apaisement entre Vladimir Poutine et le chef de Wagner, après une matinée ponctuée par de virulentes déclarations des deux hommes.
Samedi matin dans une adresse à la nation, Vladimir Poutine, en complet noir, l’air grave et le ton martial, s’en était pris sans le nommer à l’homme qui ose le défier, accusant «les traîtres» et promettant de les «punir».
«C’est un coup de poignard dans le dos de notre pays et de notre peuple», avait déclaré Vladimir Poutine. «Ce à quoi nous faisons face, ce n’est rien d’autre qu’une trahison. Une trahison provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels» de Evguéni Prigojine.
«Nous sommes des patriotes»
Vladimir Poutine «se trompe profondément» et mes combattants ne se «rendront pas», avait rétorqué le chef de Wagner, qui critique depuis plusieurs mois la stratégie militaire russe en Ukraine. «Nous sommes des patriotes. Personne ne va se rendre à la demande du président, des services de sécurité ou de qui que ce soit», avait-il promis en s’en prenant pour la première fois directement au président russe.
Dans plusieurs messages audio vendredi, le patron de Wagner avait affirmé que des frappes russes avaient fait un «très grand nombre de victimes» dans ses rangs et avait accusé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou d’en être responsable.
Ces accusations «ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation», a rétorqué le ministère de la Défense.
(AFP)