Une photo de famille. Un absent qui voit l’Europe entière le pointer du doigt. Une vitrine diplomatique destinée à montrer que, malgré la guerre en Ukraine, les déchirures du continent provoquée par Vladimir Poutine ne sont pas encore des fractures irrémédiables. Le résultat du premier sommet informel de la Communauté politique européenne à Prague (République tchèque), ce jeudi 6 octobre, ne pouvait guère espérer mieux.
Il fallait sauver la face et adresser à Moscou un message ferme. La surenchère du Kremlin n’empêchera pas les dirigeants européens de continuer à chercher des solutions ensemble. Y compris avec la Turquie et au-delà de la mer Noire, comme l’ont montré les discussions, en marge de la rencontre, à propos du conflit en cours au Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Des coopérations vont pouvoir prendre forme
Ignazio Cassis, qui participait à l’atelier consacré à l’énergie au sein de ce cénacle d’une quarantaine de chefs d’Etat ou de gouvernements, reviendra donc à Berne avec, dans sa besace, un motif d’espoir. Poussée par la France, la Communauté politique européenne, destinée à agréger les forces en présence autour des 27 pays membres de l’Union, a bien accouché d’un semblant de ciment. Des coopérations vont pouvoir prendre forme, ou être accélérées.
Personne, à l’exception des pays associés à l’effort de guerre et de déstabilisation russe comme la Biélorussie, n’est aujourd’hui laissé en bordure du chemin. Bien joué. Mais après? C’est maintenant, alors que la tenue d’un second sommet est déjà évoquée, que le plus dur commence. Car seuls les résultats et les bénéfices économiques de ces discussions permettront à ce ciment de ne pas s’effriter.
Les trois arguments massue de Poutine
Vladimir Poutine, lui, a trois arguments face à cette mobilisation diplomatique européenne: la peur, le froid et le calendrier. Trois arguments bien plus puissants, en théorie, que les mots prononcés autour des tables ce jeudi au sommet de Prague, où le choix a été fait de ne pas publier de déclaration finale, pour maintenir son aspect informel.
La peur est celle de l’engrenage et de l’escalade susceptible de conduire à l’utilisation par la Russie d’une arme nucléaire tactique. Le froid est celui de l’hiver qui débute, avec l’épée de Damoclès d’un gaz russe absent des tuyaux européens, mais bien présent dans les têtes au vu de l’explosion des prix de l’énergie. L’Allemagne, en publiant ces jours-ci un communiqué acrimonieux contre les tarifs du gaz liquéfié américain, a résumé les inquiétudes ambiantes.
Le calendrier enfin, car Poutine a, pour le moment, encore le temps d’attendre. L’économie de la Russie est depuis le 24 février une économie de guerre. Le conflit en Ukraine l’emporte sur tout le reste. Les ressources naturelles du pays sont disponibles pour qui veut les acheter. Les besoins, il faut l’admettre, sont à court terme du côté européen.
Au-delà de la photo de famille
L’enjeu de la Communauté politique européenne naissante est donc, au-delà de la photo de famille sur laquelle chacun sourit à ses voisins, de répondre à ces trois armes russes de déstabilisation massive. Il lui faut, sur le plan militaire, démontrer que l’avantage n’est pas du côté de la Russie, et que l’enjeu de la guerre en Ukraine est bien de sécuriser la stabilité du continent. Il lui faut, en matière d’énergie, trouver le moyen d’arrimer les pays les plus tentés de négocier avec Moscou à une solidarité européenne qui leur rapporte plus. Il lui faut enfin, avec de prochains rendez-vous rapprochés, démontrer que ce sommet de Prague n’était pas qu’une opportunité photographique.
Vladimir Poutine a pu constater, au vu du nombre de dirigeants réunis dans la capitale tchèque, l’ampleur de son isolement. Soit. Mais l’homme fort du Kremlin, qui se considère de toute façon assiégé et menacé, n’en tirera des conséquences favorables à la paix et à la négociation que si les participants à ce premier sommet sont capables d’accoucher vite de décisions et de projets conformes à leur présumée solidarité.