«Journal du front»
Un déserteur russe témoigne de l'absurdité de la guerre

Des confidences sur 144 pages: le «journal du front» d'un soldat d'élite diffusé au début du mois contient des détails inédits sur la situation de l'armée russe. Son auteur, un parachutiste de 33 ans, s'est réfugié à l'étranger en raison des risques encourus.
Publié: 22.08.2022 à 21:01 heures
Les récits de Pavel Filatiev sur ses deux mois passés au front font du bruit, même en Russie.
Photo: Pavel Filatjew

Il s'appelle Pavel Filatiev. Cet homme de 33 ans fait partie des troupes d'élites russes. Ou plutôt faisait, puisqu'après des mois d'engagement en Ukraine, il a déserté. Avec un certain fracas, puisque le Russe a publié le 1er août un «journal de bord» sur le réseau social VKontakte.

Il s'agit d'un document exceptionnel, puisqu'il contient des détails inédits sur ce qui se passe au front côté russe. En diffusant ces écrits, Pavel Filatiev prend des risques. Car le soldat évoque «une guerre», un mot banni dans son pays.

«Durant toute ma vie, j'ai toujours dit la vérité. Je ne veux pas que ça change, même si je me retrouve en danger», écrit le Russe dans ses notes. Le parachutiste n'avait plus le choix, selon lui: il ne pouvait plus se taire, ne voulait plus se battre et avait de plus en plus de poids sur sa conscience.

«Cette guerre sans objectif a transformé les soldats en sauvages», dénonce l'ancien parachutiste.
Photo: DR

Son principal problème: la guerre dans laquelle il était engagée n'avait «aucun sens» à ses yeux. «Où est la justice dans ce conflit? Des gens meurent alors qu'il n'y a aucun objectif qui est défini», dénonce-t-il dans les 141 pages de son journal du front.

«Nous portons des uniformes ukrainiens»

Pavel Filatiev est originaire de Volgodonsk, dans le sud de la Russie. Il a d'abord été stationné en Crimée, dans le 56e régiment de la Garde aérienne, avant d'être transféré sur le continent. Avec la publication de ses mémoires de guerre, il a pris soin de ne pas mentionner sa localisation actuelle.

L'ancien soldat, très loyal, voulait diffuser son journal et se rendre aux autorités. Certains camarades l'en ont empêché et l'ont aidé à fuir le pays avec sa mère. Sa publication a eu un impact certain en Russie: la chaîne de télévision d'opposition «Doschd» s'en est faite l'écho, de même que plusieurs médias indépendants.

Jamais auparavant un soldat russe n'avait décrit de près le quotidien et l'absurdité de la guerre. Pavel Filatiev a profité d'une blessure à l'œil, qui l'a éloigné du front vers Kherson après deux mois de combats, pour rédiger son témoignage. Il explique à quel point la logistique de l'armée russe est défaillante: les soldats sont mal équipés et n'ont aucune information sur les raisons de leur engagement.

L'homme de 33 ans a vu de nombreux camarades décéder au front, et leurs proches n'ont pas été indemnisés. Il raconte le désespoir dans les tranchées, qui se transforme parfois en colère dans les hôpitaux militaires. «La plupart des soldats sont mécontents de la tournure des événements. Ils sont fâchés contre Vladimir Poutine et sa politique, contre le gouvernement et leurs commandants. Ils s'irritent du fait que le ministre de la Défense n'ait jamais servi dans l'armée.»

Des hommes transformés en «sauvages»

En plus de leur équipement obsolète, les soldats se déplacent dans des véhicules en mauvais état. Ils représentent une cible facile pour les contre-offensives ukrainiennes. D'ailleurs, beaucoup de soldats russes portent... des uniformes ukrainiens, car ils sont «bien plus confortables et de meilleure qualité», raconte Pavel Filatiev, dont le propre fusil est «rouillé».

Le récit va très loin, puisque le déserteur assure que certains seraient allés jusqu'à s'infliger volontairement des blessures par balle afin d'être retirés du front et de percevoir une indemnité de trois millions de roubles (environ 48'000 francs).

Les militaires russes ne seraient pas assez nourris et seraient contraints de chercher de la nourriture. «Les commandants ont transformé leurs troupes en sauvages, ignorant les besoins naturels que sont dormir, manger et se doucher», assure Pavel Filatiev. Les soldats auraient ainsi passé un mois sur le front sans la moindre douche ou une nourriture «normale».

Une guerre incompréhensible

Pour le parachutiste, tout ce conflit est un crève-coeur. Il a perdu de nombreux camarades, «jeunes pour la plupart», et formule ses excuses pour d'éventuels délits commis par ses propres troupes. Le camp d'en face ne serait pas mieux loti, puisque les soldats ukrainiens commettraient également des pillages et collectionneraient les «trophées».

En revanche, ce patriotiste convaincu ne veut rien savoir des viols rapportés par des jeunes filles, des femmes ou des garçons ukrainiens. «Si quelqu'un avait voulu commettre un viol, je n'ai aucun doute sur le fait que ses camarades lui auraient tiré dans la jambe», assure-t-il.

Pavel a fui avec sa mère à l'étranger.
Photo: DR

Pavel Filatiev conclut en exprimant son incompréhension pour la guerre menée par son pays. «L'argument avancé est la volonté de l'Ukraine d'entrer dans l'OTAN. Mais est-ce que nous avons attaqué tous les pays qui font partie ou souhaitent adhérer à l'OTAN? La Lettonie, la Lituanie, l'Estonie ou la Pologne sont déjà membre de cette organisation, et la Finlande bientôt...»

Il s'agit simplement de propagande pour justifier une guerre incompréhensible, assure le parachutiste. «Le Japon revendique des îles russes et la Turquie a récemment abattu un de nos avions. Avons-nous déclaré la guerre pour autant? L'Ukraine n'est même pas l'un de nos ennemis...»

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