Depuis le début de la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine, la Suisse, en accord avec l’Union européenne (UE), a établi une liste de sanctions contre plus de 1000 Russes. Si ces derniers possèdent des avoirs dans notre pays, ils sont gelés depuis des mois.
Sauf que tous les Russes figurant sur cette liste n’acceptent pas cette situation. Certains contestent avec véhémence leur proximité avec Vladimir Poutine et demandent à être exemptés de ces sanctions.
Plusieurs demandes de retrait déposées
Pour ne plus figurer sur cette liste punitive, les personnes concernées peuvent déposer une demande de delisting auprès de la Confédération. Le Département de l’économie (DEFR) a confirmé à Blick que «cinq demandes ont été déposées».
La Confédération n’a pas précisé les identités des personnes concernées. Les autorités restent également silencieuses sur l’état actuel de la situation. «Nous ne pouvons pas nous prononcer sur les procédures individuelles», indique le porte-parole du Département.
En théorie, voici comment se déroule la procédure: le DEFR examine les demandes déposées et rend une décision susceptible de recours. En fin de procédure, c’est à l’ensemble du Conseil fédéral qu’il revient de décider d’un éventuel retrait de la liste. «L’État de droit est ainsi pleinement respecté», assurent les personnes contactées.
Attente depuis le printemps
Les Russes sanctionnés, dont certains ont déposé leur demande dès le printemps, ne sont pas satisfaits de la situation. Leurs avocats dénoncent cette attente de réponse du DEFR et du Conseil fédéral qui dure depuis des mois. Autre point de tension: l’impossibilité de recourir à la justice pour contester les sanctions.
L’une des personnes concernées est Alexander Pumpyansky, un Russo-Suisse de Genève. Il figure sur la liste des sanctions de la Confédération parce que son père, Dmitry Pumpyansky, est un entrepreneur russe dans le secteur de l’acier et dont les activités pèsent plusieurs milliards.
Pumpyansky fils, dont les trois enfants sont nés et ont grandi en Suisse, avait déjà attiré l’attention de Blick cet été sur le fait qu’il ne pourrait plus vivre ici à cause des sanctions. «Mais je ne suis pas un oligarque», se lamentait-il.
Demande déposée en mars
Impossible avec les éléments à disposition de dire si Alexander Pumpyansky se trouve actuellement à tort ou à raison sur la liste de sanctions. Reste qu’il a déposé sa demande de delisting fin mars déjà et qu’il attend toujours une réponse de Berne.
«C’est très discutable du point de vue du droit public», estime pour sa part le conseiller national PLR Hans-Peter Portmann. Le vice-président de la Commission de politique extérieure estime certes qu’il est juste que le monde occidental s’unisse face à l’agresseur russe. Il pense également que des sanctions contre des individus sont un moyen efficace. Mais le Zurichois défend les demandeurs qui se sentent lésés: «Celui qui se retrouve sur la liste des sanctions doit recevoir une justification compréhensible – et avoir la possibilité de contester juridiquement la sanction.»
Des critères inacceptables?
Or, pour Hans-Peter Portmann, il n’y a pour le moment pas de possibilité pour les sanctionnés de contester leur présence sur ladite liste: «À l’origine, la Confédération n’était même pas en mesure de fournir des documents et des informations sur la base de laquelle les sanctions avaient été prononcées.» Le DEFR aurait d’abord dû demander les dossiers correspondants à l’UE. Or, dans plusieurs cas dont il avait connaissance, ceux-ci étaient très maigres. «L’UE ne s’est pas appuyée sur des informations vérifiées des services secrets, mais sur des articles de n’importe quel média en ligne ou de boulevard», avance le conseiller national. Une procédure pour lui inacceptable au vu des conséquences entraînées par les sanctions.
Le DEFR dirigé par le conseiller fédéral Guy Parmelin n’a pas souhaité s’exprimer sur le contenu des dossiers de l’UE. L’office souligne toutefois que les autorités suisses «analysent et plausibilisent» ces informations et procèdent en outre à leurs propres clarifications. «C’est sur cette base que le DEFR, respectivement le Conseil fédéral, décide ensuite des demandes de delisting», explique une porte-parole du département.
Les responsables soulignent en outre que la Suisse décide de manière «totalement autonome» des demandes de delisting et des adaptations de la liste des sanctions.
La Suisse est exclue
Hans-Peter Portmann se montre dubitatif. Il déplore que la Suisse soit complètement exclue de l’établissement de la liste des sanctions: «À la suite de mon intervention, le Conseil fédéral a certes demandé fin août à l’UE si la Suisse pouvait être présente, au moins en tant qu’observatrice, lorsque les adaptations des sanctions seraient discutées. Mais l’UE a refusé.»
Concrètement, ce n’est que par le biais d’une mise à jour du site web de l’UE que la Confédération apprend qu’une adaptation de la liste des sanctions a été effectuée. Le gouvernement a ensuite 48 heures pour l’appliquer. «C’est indigne d’un État souverain», critique le conseiller national.
«Il n’y a pas d’automatisme»
Le DEFR n’est logiquement pas d’accord avec cette lecture. Certes, l’office confirme que la Suisse n’a accès aux décisions définitives de l’UE qu’après leur publication officielle. Mais nous ne sommes pas obligés, ni politiquement ni juridiquement, de nous associer aux sanctions de l’UE. Le porte-parole souligne: «Dans ce contexte, il n’y a pas d’automatisme et encore moins de délai de 48 heures.»
Les faits viennent toutefois contredire ces affirmations. Le 16 mars, par exemple, le DEFR avait annoncé que 197 personnes étaient désormais soumises aux sanctions financières et aux restrictions de voyage, intégrant ainsi les modifications de l’UE publiées par Bruxelles le… 15 mars. Difficile de savoir si, en 24 heures à peine, le DEFR a vraiment pu vérifier si les 197 personnes sanctionnées étaient effectivement proches du Kremlin.