Documents exclusifs révélateurs
La Confédération prend-elle les sanctions contre la Russie à la légère?

La cheffe du Secrétariat d'État à l'économie a révélé lors d'une rencontre secrète avec le canton de Zoug que la Suisse essayait d'influencer d'autres États au sujet des sanctions contre la Russie. Et cela «dans l'intérêt de l'économie du pays».
Publié: 08.01.2023 à 17:40 heures
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Dernière mise à jour: 08.01.2023 à 18:22 heures
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Lors de cette rencontre secrète, la cheffe du Seco Helene Budliger Artieda a révélé que la Confédération s'engageait au niveau international «dans l'intérêt de l'économie suisse».
Photo: Keystone
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Thomas Schlittler

La Confédération ne prend-elle pas suffisamment au sérieux les sanctions contre la Russie? C’est ce que semble indiquer des documents obtenus par Blick. Lors d’une réunion secrète, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) aurait admis tenter d’influencer d’autres États pour atténuer les sanctions contre la Russie pour la Suisse et les entreprises qui y sont établies.

Rembobinons. Le canton de Zoug, qui a attiré pendant des décennies les super-riches et les groupes de matières premières grâce à sa politique fiscale avantageuse, a vivement critiqué la Confédération pour son application des sanctions contre la Russie et a exigé une discussion avec les responsables à Berne.

Une rencontre gardée secrète

Le 27 septembre, une rencontre secrète a donc eu lieu au plus haut niveau: le ministre de l’économie Guy Parmelin et Helene Budliger Artieda, directrice du Seco, ont reçu à Berne le Landammann zougois Martin Pfister, la directrice de l’économie Silvia Thalmann-Gut et le directeur des finances Heinz Tännler.

Les participants ont gardé le silence sur la réunion. Ce n’est que fin novembre que le public en a eu connaissance, à la suite d’une enquête du Blick. Mais les participants ont continué à garder pour eux ce qui s’était dit. «Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le contenu de la réunion», écrivait alors le Seco.

Mais en consultant des emails obtenus en vertu de la loi sur la transparence, Blick a pu identifier les raisons de ce secret: la cheffe du Seco, Helene Budliger Artieda, aurait révélé des éléments qui n’étaient pas destinés au public.

Des sanctions au rabais?

À l’époque, la secrétaire d’État expliquait que la Suisse s’engageait sur le plan international «dans l’intérêt de l’économie du pays». Concrètement, cela signifie que la Confédération intervient à l’étranger afin d’atténuer les effets des sanctions contre la Russie pour la Suisse et les entreprises qui y sont établies.

De telles tentatives d’influence sont délicates. À l’international, les critiques fusent: il est reproché à la Confédération de ne pas avoir mis en place de taskforce pour traquer les avoirs russes dans le pays.

Le Seco minimise néanmoins ses interventions à l’étranger: «Comme les sanctions ont toujours des répercussions économiques sur les États qui les ont prises, il est courant que ces derniers s’engagent à limiter autant que possible les effets négatifs sur leur économie», explique un porte-parole.

La Confédération s’engage en ce sens dans le cadre de l’ordre juridique en vigueur et conformément à son mandat légal. «Pour ce faire, les autorités suisses sont en contact régulier avec leurs partenaires internationaux.» Le Seco ne veut pas révéler quels sont les «intérêts» et les entreprises pour lesquels la Suisse s’est concrètement engagée.

Pour sauver des entreprises

Il ressort du résumé écrit de la rencontre que le Conseil d’État zougois a exigé une rencontre avec les autorités fédérales parce qu’il craignait que des entreprises «quittent le pays» en raison des sanctions et qu’ainsi «du substrat fiscal et des emplois» soient perdus, en particulier pour les «entreprises actives dans le secteur des matières premières».

Interrogé par Blick, le directeur des finances Heinz Tännler précise: «Il ne s’agissait pas d’empêcher à tout prix des départs d’entreprises.» Si des sociétés se déplaçaient vers des pays qui ne soutiennent pas les sanctions, il s’agirait d’une conséquence logique et le gouvernement zougois l’accepterait.

«Nous avons toutefois dû constater que des entreprises qui ne figuraient pas sur la liste des sanctions étaient également concernées», précise Heinz Tännler. Elles auraient été limitées par les sanctions au point que leur survie aurait été menacée – salaires, loyers… «Un départ de Suisse n’était donc pas une menace, mais la dernière possibilité afin d’assurer la pérennité de l’entreprise.» Certaines entreprises auraient effectivement déplacé leur siège, parfois même dans d’autres pays de l’Union européenne.

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