Les plans montrés par le prince héritier saoudien ce lundi soir n'ont pas effacé les doutes sur la faisabilité économique et environnementale de son dessein titanesque, dévoilé pour la première fois en janvier 2021. Moyennant plusieurs centaines de milliards de dollars, Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto du royaume, projette de construire une ville sur la mer Rouge qui cherche à diversifier l'économie du pays pétrolier.
La future mégalopole Neom devrait s'étendre sur 170 km – soit plus de la moitié de la longueur de la Suisse. Son épicentre? Deux immenses gratte-ciels parallèles de 500 m de haut appelés «The Line», qui auraient une longueur de 120 km.
Avec ses taxis volants et robots domestiques, Neom a fait beaucoup parler d'elle depuis sa première annonce en 2017, même si des architectes et des économistes ont mis en doute sa faisabilité. Au départ, Neom a été présentée comme une «Silicon Valley» régionale, un centre de la biotechnologie et du numérique s'étendant sur 26.500 kilomètres carrés.
Une ville utopique sans voitures
Mais lors de la présentation lundi soir de «The Line», le prince a esquissé une vision encore plus ambitieuse, décrivant une ville utopique sans voitures, la plus vivable «sur toute la planète». L'idée est de repenser la vie urbaine sur une surface de seulement 34 kilomètres carrés pour répondre aux «crises de l'habitabilité et de l'environnement», a-t-il ajouté, suscitant une nouvelle fois le scepticisme chez certains.
«Le concept a tellement évolué depuis sa conception initiale qu'il est parfois difficile de déterminer sa direction», commente Robert Mogielnicki de l'Arab Gulf States Institute à Washington.
Boom démographique
Les autorités ont évoqué dans le passé le chiffre d'un million d'habitants à Neom. Le prince héritier a désormais fixé la barre à 1,2 million d'habitants d'ici 2030 et neuf millions à l'horizon 2045, en misant sur un boom démographique nécessaire, selon lui, pour faire de l'Arabie saoudite une puissance économique capable de rivaliser dans tous les secteurs.
A l'échelle nationale, l'objectif est d'atteindre 100 millions d'habitants en 2040, «près de 30 millions de Saoudiens et 70 millions ou plus d'étrangers», contre environ 34 millions d'habitants aujourd'hui, a déclaré Mohammed ben Salmane. «C'est l'intérêt principal de la construction de Neom: augmenter la capacité (ndlr: démographique) de l'Arabie saoudite (...). Et puisque nous le faisons à partir de zéro, pourquoi copier les villes normales?»
D'une largeur de 200 mètres seulement, «The Line» doit répondre à l'étalement urbain incontrôlé et nuisible à l'environnement, en superposant maisons, écoles et parcs, selon le modèle de «l'urbanisme à gravité zéro». Les résidents auront accès à «tous leurs besoins quotidiens» en cinq minutes à pied, ainsi qu'à d'autres facilités comme des pistes de ski en plein air et «un train à grande vitesse avec un trajet de bout en bout (de la ville) de 20 minutes», selon le communiqué de presse publié lundi.
Neomdevrait aussi être régie par sa propre loi, en cours d'élaboration, mais les responsables saoudiens ont d'ores et déjà affirmé qu'ils n'avaient pas l'intention de lever l'interdiction de l'alcool imposée dans le royaume conservateur.
Trouver des fonds
Autre défi pour Neom: respecter les promesses en matière de protection de l'environnement du pays qui s'est engagé -sans convaincre les défenseurs de l'environnement- à atteindre la neutralité carbone d'ici 2060. Selon une vidéo promotionnelle publiée lundi, le site sera totalement alimenté par des énergies renouvelables et présentera «un microclimat tempéré toute l'année avec une ventilation naturelle».
Neomest bien positionnée pour bénéficier de l'énergie solaire et éolienne, et la ville devrait accueillir la plus grande usine d'hydrogène vert du monde, note Torbjorn Soltvedt, du cabinet de conseil Verisk Maplecroft. «Mais la faisabilité de Neom dans son ensemble n'est pas claire étant donnée l'ampleur et le coût sans précédent du projet».
Le coût de la «première phase», qui s'étend jusqu'en 2030, est évalué à 1200 milliards de riyals saoudiens (environ 319 milliards de dollars), selon le prince Mohammed. Outre les subventions gouvernementales, les fonds devraient provenir du secteur privé et de l'introduction en bourse de Neom prévue en 2024.
Le financement reste un défi potentiel, même si le contexte actuel, marqué par la flambée des prix du pétrole, est plus favorable pour le royaume que durant la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, «le financement n'est qu'une partie de l'équation», souligne Robert Mogielnicki. «La demande est plus difficile à acheter, surtout quand on demande aux gens de participer à une expérience sur la vie et le travail dans le futur.»
(AFP/Blick)