Explosion de Beyrouth
Human Rights Watch accuse les autorités de «négligence criminelle»

L'ONG Human Rights Watch (HRW) a accusé mardi les autorités libanaises de négligence criminelle, de violation du droit à la vie et de faire barrage à l'enquête locale sur l'explosion dévastatrice du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
Publié: 03.08.2021 à 11:21 heures
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Dernière mise à jour: 03.08.2021 à 11:22 heures
Dans un rapport de 126 pages, l'ONG a documenté les multiples manquements des instances politiques et sécuritaires dans la gestion du stock de matières dangereuses depuis son arrivée au port en 2013 jusqu'à son explosion.
Photo: Hassan Ammar

L'ONG a recommandé la mise en place d'une mission d'investigation indépendante de l'ONU et des sanctions internationales contre les hauts responsables libanais.

La gigantesque déflagration du 4 août 2020, qui a fait 214 morts et plus de 6500 blessés, a été déclenchée par l'explosion de plusieurs centaines de tonnes d'ammonium stockées depuis 2014 dans un entrepôt délabré au port.

Dans un rapport de 126 pages, l'ONG a documenté les multiples manquements des instances politiques et sécuritaires dans la gestion de ce stock de matières dangereuses depuis son arrivée au port en 2013 jusqu'à son explosion.

Des dizaines de responsables gouvernementaux, douaniers et responsables de sécurité qui étaient au courant des dangers encourus, selon l'ONG, y sont identifiés.

«Plusieurs autorités (...) ont fait preuve de négligence criminelle, selon la loi libanaise, dans la gestion de la cargaison», résume le rapport de HRW, basé sur plusieurs entretiens et des centaines de correspondances officielles dont certaines n'ont jamais été rendues publiques.

«Les preuves suggèrent avec force que certains responsables gouvernementaux étaient conscients du (risque de) mort que la présence de nitrate d'ammonium au port pouvait entraîner et ont tacitement accepté (de prendre) ce risque», a déploré HRW.

Les manquements ont commencé en 2013 dès l'arrivée de la cargaison à bord du navire «Rhosus», battant pavillon moldave, parti initialement de Géorgie à destination du Mozambique, d'après l'ONG.

«Les responsables du ministère des Travaux publics et des Transports ont décrit de manière inexacte les risques de la cargaison dans leurs demandes à la justice de décharger la marchandise», a déclaré HRW.

Ils ont également «sciemment stocké le nitrate d'ammonium dans le port de Beyrouth avec des matériaux inflammables ou explosifs pendant près de six ans», même après avoir reçu des rapports avertissant du caractère «extrêmement dangereux» du stock, a déploré HRW.

Pour leur part, les autorités douanières, alertées pour la première fois en 2014 et qui auraient pu agir unilatéralement pour retirer les matières explosives du port n'ont pas pris les mesures adéquates pour s'en débarrasser, selon HRW.

Quant à l'armée libanaise, elle «n'a pris aucune mesure apparente pour sécuriser» le stock, selon le rapport. Le commandement militaire s'est même dédouané de toute responsabilité, alors qu'il devrait, en vertu de la loi libanaise, approuver l'importation et l'inspection de matières classées comme utilisables dans la fabrication d'explosifs.

La Sécurité de l'Etat, qui a mené une enquête sur le stock de nitrate avant l'explosion, a tardé, de son côté, à signaler la menace potentielle aux hauts responsables, fournissant, par ailleurs, des informations incomplètes sur les dangers posés par ces produits chimiques, selon HRW.

Le Premier ministre de l'époque, Hassan Diab, a ainsi reçu des informations sur la cargaison seulement à partir de juin 2020, soit à peine deux mois avant l'explosion. «Je l'ai ensuite oublié et personne n'a assuré le suivi. Il y avait des désastres tous les jours», a-t-il déclaré à HRW.

Pour l'ONG, l'enquête locale est «incapable de rendre justice de manière crédible». Elle a appelé à une mission d'enquête mandatée par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.

L'ONG a aussi recommandé des sanctions contre l'ensemble des individus et entités «impliqués dans des violations continues des droits humains (...) et les efforts visant à saper» l'enquête locale, alors qu'aucun responsable n'a été traduit en justice, un an après le drame.

«Selon le droit international (...), l'échec d'un Etat à agir contre des dangers potentiels sur la vie humaine est une violation du droit à la vie», a ajouté l'organisation, précisant que l'explosion pouvait potentiellement être assimilée, d'après la loi libanaise, à un meurtre prémédité ou un «homicide».

(ATS)

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