Malgré le blocage par les autorités de l'accès à des applications populaires telles qu'Instagram et WhatsApp, des militants ont lancé un appel en ligne à manifester en masse samedi sous le slogan «Le début de la fin!» du régime, au moment où la mobilisation est entrée dans sa cinquième semaine malgré une répression meurtrière.
Ils ont encouragé les jeunes et la population iranienne à manifester dans des endroits où les forces de sécurité ne sont pas présentes et à scander «Mort au dictateur», en référence au guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei.
Les manifestants ont reçu vendredi soir le soutien de Joe Biden, qui a assuré que les Etats-Unis étaient «aux côtés des citoyens, des courageuses femmes d'Iran». «J'ai été sidéré de ce que cela avait éveillé en Iran. Cela a éveillé quelque chose qui, je pense, ne se taira pas avant un long, long moment», a dit le président américain en Californie.
Les femmes «doivent pouvoir porter ce qu'elles veulent porter, bon Dieu», a lancé Joe Biden, ajoutant: «L'Iran doit mettre fin à la violence contre ses propres citoyens qui exercent simplement leurs droits fondamentaux.»
Rassemblements de solidarité à l'étranger
Le président iranien Ebrahim Raïssi a accusé plusieurs fois les Etats-Unis, ennemi juré de Téhéran, de chercher à déstabiliser son pays. La République islamique a aussi accusé la France d'«ingérence», après les propos tenus mercredi par le président français Emmanuel Macron affirmant que Paris «condamne la répression menée aujourd'hui par le régime iranien».
Le mouvement de contestation a entraîné des rassemblements de solidarité à l'étranger ainsi que des sanctions occidentales visant des responsables et institutions iraniens accusés d'implication dans la répression.
Samedi, parallèlement au mouvement de contestation, des rassemblements «anti-émeutes» sont prévus en soirée dans «toutes les mosquées du pays (...) pour contrer les complots des ennemis de l'Iran», selon un communiqué du Conseil islamique de coordination du développement, chargé d'organiser des manifestations officielles.
Dénonçant la politique de deux poids deux mesures, le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir-Abdollahian a ironisé vendredi: «Qui aurait cru que la mort d'une seule fille serait aussi importante pour les Occidentaux? Qu'ont-ils fait concernant les centaines de milliers de martyrs et de morts en Irak, en Afghanistan, en Syrie et au Liban?»
Mahsa Amini, symbole de l'oppression
L'indignation provoquée par le décès le 16 septembre de cette Kurde iranienne de 22 ans a entraîné la plus grande vague de manifestations en Iran depuis les protestations de 2019 contre la hausse du prix de l'essence dans ce pays riche en pétrole.
Mahsa Amini avait été arrêtée le 13 septembre par la police des moeurs à Téhéran pour avoir, selon celle-ci, enfreint le code vestimentaire strict de la République islamique pour les femmes, prévoyant notamment le port du voile.
Les autorités iraniennes affirment que la jeune femme est décédée des suites d'une maladie et non de «coups», d'après un rapport médical rejeté par son père. Son cousin a affirmé qu'elle était décédée après «un violent coup à la tête».
Depuis, des jeunes femmes, étudiantes et écolières sont les fers de lance des manifestations au cours desquelles elles scandent des slogans antigouvernementaux, mettent le feu à leur foulard et affrontent les forces de sécurité.
Après une vaste campagne d'arrestations contre des artistes, des dissidents, des journalistes et des sportifs, le réalisateur de cinéma iranien Mani Haghighi a affirmé que son pays lui avait interdit de se rendre au Royaume-Uni pour le Festival du film de Londres en raison de son soutien aux manifestations.
Un lourd bilan civil
Au moins 108 personnes ont été tuées depuis le 16 septembre, selon l'association Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. De son côté, Amnesty a déploré la mort d'au moins 23 enfants «tués par les forces de sécurité iraniennes», ajoutant qu'ils étaient âgés de 11 à 17 ans.
Deux membres des forces de sécurité ont été tués par balle dans la province méridionale de Fars dans le cadre des manifestations, portant à au moins 20 le nombre de membres des forces de l'ordre tués depuis le début de la contestation, ont rapporté vendredi des médias officiels.
Selon des analystes, la nature multiforme des manifestations anti-gouvernementales, notamment de jeunes qui se réunissent par petits groupes dans certains quartiers pour éviter d'être repérés, compliquent la tâche des forces de l'ordre pour tenter de les arrêter.
Dans une lettre ouverte publiée jeudi à sa Une, le journal réformateur «Etemad» a demandé au plus haut responsable de la sécurité iranienne de mettre fin aux arrestations effectuées sous «des prétextes parfois fallacieux».
Fait rare, la police de Téhéran a annoncé vendredi qu'elle allait enquêter sur des accusations de harcèlement visant un de ses agents. Ce dernier a été filmé alors qu'il semblait se livrer à des attouchements sur une manifestante tout juste interpellée, selon une vidéo publiée par des chaînes à l'étranger. Ces derniers jours des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l'ordre ont eu lieu en particulier à Sanandaj, capitale de la province du Kurdistan d'où était originaire Mahsa Amini.
Ailleurs en Iran, à Zahedan, la capitale de la province du Sistan-Baloutchistan (sud-est), les forces de sécurité ont tué au moins 93 personnes dans des violences fin septembre et début octobre lors de manifestations contre le viol présumé d'une jeune fille par un policier, selon l'IHR.
(ATS)