Quel bilan pour la France après ces journées de feu engendrées par la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un tir policier à Nanterre le 27 juin autour de 8 heures du matin? Les statistiques réunies par Blick, comme par d’autres médias, démontrent d’abord que cette explosion de violences urbaines est aussi le résultat de confrontations croissantes entre la police et la population.
Le climat était donc inflammable. Que sait-on, maintenant, sur les causes de l’incendie et sur sa propagation en quelques heures, dans la plupart des grandes villes du pays et dans leurs banlieues? Tour d’horizon.
La mort de Nahel: le brouillard demeure
C’est entre 7h55 et 8h30 du matin à Nanterre, en plein centre de cette ville des Hauts-de-Seine à l’ouest de Paris, que la tragédie initiale s’est déroulée. Deux motards ont interpellé une Mercedes de couleur jaune immatriculée en Pologne, qui circulait sur une voie cyclable. Point important: les faits se sont déroulés au pied du Palais de justice et de la préfecture, à proximité d’une école maternelle.
Depuis, le brouillard demeure. Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux accréditent l’idée d’une interpellation musclée qui dérape. Idem selon les deux passagers présents dans le véhicule, qui ont depuis été auditionnés par la «police des polices».
Le meurtrier présumé, âgé de 38 ans, qui a tiré avec son arme de service, après des menaces et un coup de crosse, est désormais incarcéré et mis en examen pour «homicide volontaire». Le parquet a admis très vite que les «conditions de l’utilisation légitime de son arme n’étaient pas réunies».
D’autres images et des transcriptions sonores donneraient toutefois une autre version des faits. Le policier aurait intimé l’ordre au jeune conducteur sans permis de couper le moteur de sa voiture et celui-ci n’aurait pas obtempéré. Il ne l’aurait pas menacé de mort. Le jeune Nahel était connu des services de police. Pourquoi circulait-il à cette heure dans ce type de véhicule onéreux? Sa voiture avait-elle été repérée et désignée aux motards? Les versions les plus contradictoires circulent.
Les contrôles routiers par la police n'étaient pas, en 2020 et 2021, l'une des principales causes de violence policière. C'est pourtant lors d'un contrôle, mardi 27 juin au matin, que le jeune Nahel a trouvé la mort.
Émeutiers contre policiers: un drame français
45'000 policiers sont déployés depuis plusieurs jours pour ramener le calme dans le pays, ce qui semble fonctionner. Aucune émeute n’a éclaté depuis dimanche. 1243 personnes ont été déférées devant la justice depuis le 30 juin, dont 380 incarcérées. 480 majeurs ont été jugés en comparution immédiate pour vols aggravés de commerce, dégradations et atteintes aux forces de l’ordre. Plus de 700 membres des forces de l’ordre ont été blessés.
Ces chiffres cachent une réalité que beaucoup en France refusent de voir: la fracture entre la police et une partie du pays est radicale. Une polémique d'ailleurs a éclaté après l'ouverture d'une cagnotte en ligne pour le policier incriminé. Les chiffres compilés par Blick sont accablants. Le nombre des blessés occasionnés par des interventions de police avait déjà fortement augmenté en 2021.
Autre réalité problématique: la criminalité et les actes de violence sont, depuis plusieurs années, en nette augmentation en France.
Une enquête du «Temps» démontre que les chiffres français sont bien supérieurs à la moyenne européenne. Un communiqué de deux syndicats policiers dès le début des émeutes parlait de «combat» contre les «nuisibles» et des «hordes sauvages», montrant l’ampleur de la défiance.
Attention toutefois: selon un sondage Elabe pour BFM TV, neuf Français sur dix condamnent les violences contre la police. Mais 20% disent en revanche les comprendre. Une personne serait morte, à Marseille, d’un tir policier de LBD. Au total, trois personnes ont perdu la vie, dont Nahel.
37 morts lors d'interventions policières en France en 2021: un chiffre nettement au-dessus de la moyenne européenne.
Les fonctionnaires de police déclarent les tirs réalisés avec leur arme individuelle, qu’ils soient en service ou bien hors service, dès lors que ces tirs s’inscrivent dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions de police, selon l'inspection générale de la Police nationale. L’année 2021 est marquée par une légère hausse des usages de l’arme individuelle.
Des quartiers détruits, la fracture et la facture
Un chiffre donne le tournis: en cinq jours, selon le patronat français, les dégâts matériels et économiques causés par les émeutes auraient atteint un milliard d’euros. Côté gouvernement, les chiffres sont tout aussi vertigineux: 5600 véhicules incendiés, plus de 1000 bâtiments brûlés ou dégradés, 250 attaques de commissariats ou de gendarmeries.
Et cela, à quelques semaines de la Coupe du monde de rugby qui se déroulera cet automne, et à un an pile des Jeux olympiques d’été de 2024 qui ouvriront le 26 juillet. La question «qui va payer?» et le calendrier de la reconstruction est sur la table. Emmanuel Macron a annoncé devant une délégation de maires reçus mardi à l’Élysée une possible «loi d’urgence» pour les banlieues.
La facture de cette semaine de feu intervient au moment où la dette publique française a franchi la barre des 3000 milliards d’euros. Question: l’attractivité du pays pour les entreprises étrangères, clé de voûte de la présidence Macron, sera-t-elle affectée? Et quid des moyens pour renouer le dialogue avec la jeunesse révoltée qui a pillé et cassé sans retenue?
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La République «apaisée» a volé en éclats
L’ironie est triste et totale. Après la bataille sociale sur la réforme des retraites, qui avait déjà suscité des violences urbaines, la Première ministre française avait présenté une liste de propositions pour ramener l’apaisement en «cent jours», jusqu’au 14 juillet. On oublie! Lorsque le président français prendra la parole pour la fête nationale, le ton sera grave. Le pays est blessé. La République apaisée est un mirage.
De nombreux élus ont été pris pour cible. Le problème est que personne ne sait comment surmonter cet écueil, sauf à renforcer encore les moyens donnés à la police. C’est ce que préconise l’extrême-droite. Calme, posée, Marine Le Pen a fait une intervention solennelle avec laquelle elle soigne de nouveau sa stature de «recours».
Il est évident que le chaos nourrit, au sein d’une partie de la population française, une tentation de la manière forte contre les émeutiers, contre l’immigration, contre la présumée «sécession» des quartiers et d’une partie de la jeunesse. Ce qui n’est pas nouveau: en 2018, lors de la crise des «gilets jaunes», un sondage avait montré que 40% des sondés seraient d’accord avec un pouvoir politique autoritaire.