Macron veut l'imposer
La réforme des retraites en France, preuve du dialogue impossible

La Première ministre française, Elisabeth Borne, a promis d'annoncer cette fin de semaine si son gouvernement va décider, ou non, d'accélérer sur la réforme des retraites promise par Emmanuel Macron.
Publié: 28.09.2022 à 16:38 heures
La Première ministre, Elisabeth Borne, a hérité du dossier empoisonné de la réforme des retraites en France. Ses prédécesseurs, Edouard Philippe et Jean Castex, l'avaient mis de côté pour des raisons électorales, face à la colère sociale.
Photo: imago/PanoramiC
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Richard WerlyJournaliste Blick

Les Français sont passionnés par leur retraite. Oui, passionnés! Jugez plutôt: malgré l’évidence économique dictée par le déficit public chronique du pays (158 milliards d’euros prévus en 2023), seuls 20% d’entre eux soutiennent la nécessité de travailler plus en rallongeant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, pour passer de 62 à 64 ans. Et ne leur dites pas que les pays voisins de la France sont déjà passés à l’acte: pour les 55% de Français qui se disent toujours opposés à cette réforme, ces chiffres ne veulent rien dire.

«Passer à 64 ans au lieu de 62 ans augmenterait au contraire les dépenses sociales car un travailleur sur deux, à cet âge-là, est aujourd’hui précaire. L’État devra donc subventionner encore plus de demandeurs d’emploi sans aucune chance d’en retrouver», jugeait ces jours-ci dans «Le Journal du Dimanche» l’économiste Michaël Zemmour, spécialiste des questions sociales.

La passion de la retraite

La passion de la retraite: tel est en effet bien le mot sur lequel bute Emmanuel Macron, qui a promis d’en finir avec les très nombreux régimes spéciaux qui font de cette question un labyrinthe administratif, statistique et financier, compte tenu des différences de statuts et d’avantages. «La retraite s’assimile pour beaucoup de Français comme une période de longues vacances, sous réserve qu’elle ne soit pas marquée par des invalidités, notait en 2018 le Cercle de l’Épargne dans une note dédiée. Pour les pensions des régimes obligatoires, les assurés sont condamnés à s’en remettre au bien vouloir de l’État ou des partenaires sociaux.»

Et aussi: «Dans un pays marqué par un profond sentiment de défiance, surtout quand les réformes se succèdent, la population ne peut donc qu’être anxieuse face à l’évolution du système de retraite.» Vous avez bien lu: longues vacances. Qui dit retraite dit, en France, le démarrage d’une nouvelle vie, soit oisive, soit associative, soit familiale. Bref, on se réinvente. Oubliés les horaires de bureaux et les contraintes d’un employeur. «Liberté, loisirs, famille, ce sont les premiers mots associés à la retraite», confirmait en 2014 une enquête de l’institut Louis Harris.

En 1982, la retraite à 60 ans

Cette passion a de plus été entretenue, en particulier par les gouvernements classés à gauche. Dès 1982, un an après son élection historique, le nouveau président socialiste François Mitterrand fait voter la retraite à 60 ans à taux plein… avant de revenir sur cet engagement durant son second mandat, et de décider d’allonger la durée des cotisations (mais pas celle de l’âge légal de départ). Même la droite s’est fracassée sur le sujet. Nicolas Sarkozy, en 2010, impose le départ à la retraite à 62 ans. Son discours est musclé. Ce changement, affirme-t-il, «n’est pas négociable».

Les fameux «régimes spéciaux»

Sauf que rien ne change pour tous ceux qui bénéficient de régimes spéciaux, à commencer par les 5,6 millions de fonctionnaires (sur une population active de 29,5 millions). Pas moins de 4,5 millions de pensionnés – sur 17 millions de retraités – sont en France bénéficiaires d’un de ces 37 régimes protecteurs qui dérogent aux règles générales pour les salariés ordinaires. En promettant d’unifier tout cela en 2019, Emmanuel Macron a allumé le feu, éteint ensuite par la pandémie de Covid-19.

Le plus compliqué à comprendre, vu d’un pays comme la Suisse où chacun cotise pour soi à travers des caisses de pensions liées aux administrations ou aux entreprises, est que les partisans d’un maintien de la retraite à 62 ans n’ont paradoxalement pas tout à fait tort, d’un point de vue économique. Le système français par répartition – les actifs paient pour les seniors, via la sécurité sociale – n’est, individuellement, pas si généreux que ça, en particulier pour tous ceux qui n’ont pas derrière eux une vie de salariés (il faut près de 170 trimestres cotisés pour bénéficier d’une retraite à taux plein).

Considérations statistiques et moment politique

A l’inverse, le système d’assurance-chômage, qui est l’un des plus généreux d’Europe, coûte très cher à la collectivité. Ne vaut-il pas mieux que les «seniors» soient heureux de jouir de leur retraite, même pas très élevée, plutôt que de risquer une explosion du nombre des chômeurs âgés? Certains économistes proposent même de garder l’âge légal de 62 ans, en introduisant la pension mensuelle minimum de 1000 euros pour tous promise par Emmanuel Macron. L’équation est simple: place aux jeunes sur le marché du travail, et amélioration du niveau de vie de ceux qui peuvent dépenser pour eux et pour leur famille…

A ces considérations statistiques s’ajoute le moment politique. Mettre la réforme des retraites à l’agenda cette fin de semaine, et accélérer le processus législatif pour la faire adopter est une quasi-garantie d’incendie social, sur fond de hausses généralisées des prix et d’angoisse hivernale.

Un choix de société

Pourquoi Emmanuel Macron prendrait-il ce risque? Ses partisans répondent que le président a compris que la seule période propice aux réformes est le début de mandat. Ils disent aussi que la majorité de la population sera de facto préservée, puisque la réforme ne modifiera la donne que pour les Français nés après 1975 (une partie de leur retraite sera recalculée) et ceux nés après 2004 (la totalité sera recalculée). L’entourage du président laisse aussi entendre que les régimes spéciaux ne seront pas touchés. En clair: pas question de jeter les fonctionnaires ou assimilés à la rue.

Et si les Français qui disent «non» avaient raison?

Reste le choix de société. Fidèle à sa vision libérale de la société, centrée sur la responsabilité, Emmanuel Macron veut également réformer l’assurance-chômage, pour la rendre moins généreuse et pousser le plus possible vers le plein-emploi. Ce qui aura pour but, mécaniquement, de renflouer les caisses de retraite si le nombre des travailleurs cotisants augmente.

Ne faut-il pas, dans ces conditions, éviter le chaos social en chargeant trop la barque des réformes?

Et si la majorité de Français opposée à la réforme des retraites avait finalement raison?

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