Après la peur du Covid, celle des coupures de courant durant l’hiver. Tout au long de la pandémie, le gouvernement français avait opté pour une politique de précaution maximale, n’hésitant pas à apeurer la population pour limiter les débordements et justifier la discrimination envers les non-vaccinés, sur la base des informations sanitaires distillées par le Conseil scientifique.
Bis repetita ces temps-ci, avec l’évocation de plus en plus fréquente de probables coupures d’électricité durant les prochaines semaines. Le porte-parole du gouvernement, l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, a certes réfuté mercredi 30 novembre, toute intention de miser sur la peur pour inciter les entreprises, les administrations et les ménages à la «sobriété énergétique». Mais dans les faits, la méthode est la même que durant l’épidémie: décréter des consignes d’en haut, et mettre les services de l’Etat à contribution pour les faire respecter.
Des recommandations tombées d’en haut
Cette fois, les interlocuteurs publics ne seront pas les agences régionales de santé, les fameuses ARS controversées pour leur rôle face à la pandémie de Covid 19. C’est aux préfets que le gouvernement français va demander, par une circulaire, de préparer la population à de possibles «délestages», soit des interruptions d’approvisionnement électrique. Le choix d’un système centralisé de décision, conforme au fonctionnement du pays, paraît acquis.
Fait important à comprendre: ce rationnement n’est pas la conséquence directe de la rupture des importations de gaz russe engendrée par la guerre en Ukraine. Il est d’abord le résultat des problèmes techniques qui paralysent le parc nucléaire tricolore. La France compte 56 réacteurs, qui fournissent en théorie 71% de l’électricité consommée sur son territoire. Côté géographie, 80% de la production française électronucléaire est assurée par 4 régions: l’Auvergne-Rhône-Alpes (22,4%), le Grand Est (21,8%), le Centre-Val de Loire (19,2%) et la Normandie (17,6%). Or à la veille de la première vague de froid attendue ce week-end, 23 de ces 56 réacteurs sont toujours à l’arrêt pour cause de maintenance. EDF, l’opérateur des centrales, espère que 42 réacteurs seront opérationnels d’ici à la fin décembre.
«Tout ce qui peut être économisé est bienvenu»
Fallait-il, dans ce contexte, tirer déjà le signal d’alarme alors qu’Emmanuel Macron a répété en octobre qu’il ne fallait pas «céder à la panique» et que les stocks de gaz sont pleins? La réponse est affirmative du côté du gouvernement. «Le pire serait de faire croire aux Français que cet hiver, pour l’heure plutôt doux côté climat, sera comme les précédents, explique un conseiller du ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Tout ce qui peut être économisé est bienvenu.» Le gestionnaire français du réseau d’électricité RTE a, pour cela, mis en place une alerte via un signal «EcoWatt rouge». Celui-ci sera activé trois jours avant toute coupure programmée, pour permettre aux départements et aux localités de se préparer.
L’on sait déjà que les hôpitaux ne seront pas concernés. Mais tous les autres services publics pourraient l’être. La circulaire administrative en préparation, dévoilée par l’AFP, n’évoque que des coupures d’une durée maximale de deux heures. Ces coupures ne toucheront que les personnes et entreprises raccordées aux réseaux «non prioritaires» (ceux qui alimentent les commissariats, les hôpitaux, les centres de données militaires). La Corse, rattachée au réseau électrique italien, n’est a priori pas concernée.
Un rappel à l’ordre jugé indispensable
Mais pourquoi tirer si tôt le signal d’alarme? Pourquoi commencer, comme va le préciser la circulaire, à diffuser des consignes sur les fermetures éventuelles des classes et des écoles? Pourquoi inquiéter la population en rappelant aux préfets, noir sur blanc, que les coupures de courant affecteront par ricochet les réseaux téléphoniques? La réponse est double. La première ministre Elisabeth Borne, réputée bonne gestionnaire, redoute d’abord une impréparation et une désorganisation de dernière minute. Le pays, toujours très éruptif sur le plan social, a ensuite besoin, selon les partisans de ce plan d’alerte, «d’un rappel à l’ordre énergétique». Même si, contrairement au plan Covid, aucune sanction financière et pénale n’est prévue pour ceux qui oublieraient de baisser le chauffage ou d’éteindre la lumière.
«Le gouvernement prépare les esprits aux coupures de courant», titrait ce jeudi 1er décembre le quotidien financier «Les Echos». Avec, selon ce journal, l’objectif de planifier au mieux les éventuelles coupures: «Cette circulaire doit aboutir au recensement des personnes hospitalisées à domicile pour leur permettre de disposer d’une solution de repli, à l’organisation de la sauvegarde de l’alimentation électrique des gendarmeries, hôpitaux et autres casernes de pompiers, à la mise en place de plans d’urgence dans les gares ou encore dans les écoles.»
Un risque «élevé» de coupures en janvier
La France en fait-elle trop? Non, répondent aussi les experts du réseau électrique. De fait: le 18 novembre, RTE a reconnu un risque «élevé» de coupures en janvier, en raison du redémarrage plus lent que prévu de réacteurs nucléaires. Celui-ci «dépendra largement des conditions climatiques et de la possible survenue d’une vague de froid même modérée» a poursuivi RTE. Et d’avertir: «Le risque de coupure ne peut pas être totalement exclu, mais il pourrait être évité en baissant la consommation nationale de 1 à 5% dans la majorité des cas, et jusqu’à 15% dans les situations météorologiques les plus extrêmes.»
Un autre facteur pèse pour cette approche très prudente: la renationalisation à 100% en cours d’EDF, l’opérateur électrique national. Une OPA a été lancée par l’Etat français dans le but de racheter la totalité des actions (il en détient aujourd’hui 84%) à un cours de douze euros. Or des procédures en justice ont été déclenchées par des actionnaires minoritaires qui réclament au moins 15 euros, invoquant «un manquement aux obligations d’informations». En prenant les devants sur les futures coupures, les pouvoirs publics désarment donc au passage cet argument et justifient la nécessité du rachat.
Comment vont de comporter les ménages?
La grande question, maintenant que l’alerte est diffusée, va être celle du comportement des ménages. Pour le mois de novembre, la consommation d’électricité en France a diminué de 6,4% en 2022 par rapport à la moyenne des années précédentes (2014-2019). Cet «effet baissier» tend à prouver que la peur des coupures a bien un impact. Avec une nuance de taille: cette baisse de consommation est aussi la conséquence de températures jusque-là plus douces que la moyenne saisonnière.
La «sobriété» demandée aux Français résistera-t-elle aux premières gelées?