«Bien que plus d’une personne sur deux soit concernée par les règles durant la moitié de sa vie, il n’existait aucun commerce physique consacré aux protections menstruelles durables. J’ai donc décidé de me lancer.» Eleonore Arnaud a ouvert Rañute, à Renens, en 2020. Première boutique de Suisse entièrement dédiée aux menstruations, elle a été propulsée par une campagne de financement participatif qui a permis de récolter 21’000 francs.
L'approche de l'entrepreneuse a notamment été motivée par la dimension écologique et sociale. «J’avais à cœur de montrer que ces protections peuvent être plus écologiques, de meilleure qualité, et sûres pour la santé, qu’il ne s’agit pas que de simples accessoires.»
Coup de pouce du Covid
Hasard du calendrier, l’ouverture de la boutique survient en pleine pandémie. «La crise sanitaire a provoqué un véritable regain d’intérêt pour les commerces locaux. Il n’était pas rare de voir des files d’attente de 45 minutes à notre porte», se souvient Eleonore Arnaud. En pleine période de confinement, la petite boutique renanaise a pu rester ouverte en tant que commerce de première nécessité.
«Étrangement, lorsqu’il s’agit de la TVA, les produits de protection périodique ne sont pas considérés comme essentiels et sont taxés au taux normal de 7,7%. On attend toujours la révision de la loi qui catégorisera enfin nos produits comme étant de première nécessité.» Rañute a cependant déjà pris les devants: une semaine par mois, elle applique le taux réduit (2,5%) sur son assortiment.
Au cours des dix dernières années, les alternatives comme les culottes menstruelles ont connu un essor remarquable. En 2022, ce marché était estimé à 240 millions de dollars au niveau mondial et, selon Global Market Insight, il devrait croître de 4% par an ces dix prochaines années. Surfant sur cette vague, plusieurs boutiques et e-commerces ont émergé ces dernières années en Suisse romande.
Protections écoresponsables
Il faut dire que la réputation des tampons a été remarquablement entachée par les risques de choc toxique, une infection bactérienne potentiellement mortelle si elle n’est pas traitée rapidement. En outre, les protections jetables présentent souvent des traces de composés chimiques tels que le glyphosate. Même si les niveaux relevés sont conformes aux normes autorisées, et donc a priori sans danger, de plus en plus de personnes menstruées préfèrent s’en détourner.
L’aspect écologique peut aussi jouer un rôle dans ce nouveau choix de consommation. Selon une étude de Zero Waste Europe datant de 2017, les serviettes hygiéniques classiques seraient composées de plastique à près de 90%. Rien que dans l’Union européenne, elles engendreraient près de 500’000 tonnes de déchets. Dans un contexte marqué par une prise de conscience grandissante de la population quant à son empreinte environnementale, les solutions renouvelables arrivent à point nommé. «Quand j’ai lancé Rañute, seules 10% des personnes menstruées utilisaient des protections durables», estime Eleonore Arnaud.
Déclic pendant un voyage
Dans le Jura, Florent De Sousa et son amie Alexandra Déboeuf ont fondé leur propre marque de culottes menstruelles en 2021. L’idée a germé après un road trip au Portugal, pendant lequel le couple a pris conscience des défauts des protections hygiéniques jetables. «Non seulement elles s’avèrent peu pratiques lorsque les règles surviennent de façon inattendue, mais en plus elles génèrent énormément de déchets. Au Portugal, on en retrouve beaucoup aux abords des routes, et parfois jusque sur les plages», raconte Florent De Sousa.
De retour au bercail, les deux jeunes Jurassiens se mettent alors en tête de trouver des protections menstruelles plus pratiques et écologiques. Assez intransigeants sur les tissus utilisés et les conditions de production, le couple se heurte à l’évidence: les culottes menstruelles sont bel et bien disponibles sur le marché, mais aucun des modèles ne correspond à leurs attentes. Leur vient alors l’idée un peu folle de créer leur propre marque, Moona. Ils se lancent tête baissée dans l’aventure, abandonnant par la même occasion travail et études.
En collaboration avec une manufacture portugaise, Moona met alors au point ses culottes menstruelles, certifiées sans produits chimiques et entièrement fabriquées en Europe. L’entreprise basée à Delémont lance une campagne de précommandes pour financer son entrée sur le marché. Le site a été officiellement inauguré en juin 2022 et près de 4400 culottes menstruelles ont été précommandées durant le premier mois. «Depuis, nous sommes parvenus à maintenir une croissance constante et prévoyons désormais de renforcer notre catalogue avec de nouveaux produits, comme des modèles boxer ou des maillots de bain.»
Ventes en ligne
Toutefois, avec le renchérissement du coût de la vie, difficile de maintenir le niveau des ventes atteint pendant la pandémie. «On sent l’effet de l’inflation sur les habitudes de consommation. Les culottes menstruelles ne sont pas les plus économiques», admet Eleonore Arnaud. La Vaudoise a d’ailleurs dû fermer l’antenne qu’elle avait ouverte à Toulouse. Pour des raisons personnelles, elle a aussi dû se séparer de celle de Genève.
Du côté de Moona, dont les produits sont disponibles à la revente chez des détaillants comme Rañute, on mise tout sur le digital. «Dès le début, nous avons basé notre modèle d’affaires sur la vente en ligne et avons veillé à acquérir les compétences requises en ce sens. C’est pourquoi nous n’avons pas l’intention d’ouvrir nos propres boutiques physiques. En outre, le marketing digital est pour nous le meilleur moyen d'atteindre de nouveaux clients», précise Florent De Sousa.
Briser les tabous
Depuis quelques années, les articles de protection menstruelle durables ont également gagné les rayons des grandes enseignes. Toutefois, Eleonore Arnaud se montre plutôt dubitative à l’idée que la grande distribution gagne le cœur de sa clientèle qui, selon elle, vient aussi chez Rañute pour bénéficier de conseils et échanger. La quadragénaire a donc la ferme intention de maintenir sa boutique physique. «Il est important que les personnes menstruées puissent bénéficier d’un espace de confiance où elles se sentent à l’aise pour poser des questions, faire part de leur vécu et essayer les produits. En outre, les ventes de Rañute, qui disposent aussi d’une plateforme de vente en ligne, sont plus abondantes en magasin que sur internet.»
Ancien micro-mécanicien, Florent De Sousa admet que sa décision de monter une affaire autour des culottes menstruelles a pu étonner certains membres de son entourage, notamment masculins. Mais le Jurassien de 25 ans constate aujourd’hui que sa démarche a eu pour effet de briser un tabou et de rendre le sujet plus facile à aborder, notamment chez les personnes non menstruées. «On constate également que de plus en plus d’hommes commandent des culottes menstruelles chez nous, probablement pour les offrir à leur conjointe. Cela tend à démontrer que le sujet les préoccupe aussi.»
En collaboration avec Large Network