Tout au long de leur vie, les femmes se constituent moins d’épargne et ne créent pas autant de fortunes que les hommes. Cet écart de richesses est loin de se refermer et il concerne toutes les catégories de la population.
Il est notamment révélateur d’observer que, parmi les grandes fortunes établies en Suisse, on trouve très peu de femmes et celles-ci sont surtout des héritières (Heineken, Ems Chemie, Roche) plutôt que des créatrices d’entreprise. Chez les ménages moyens, les écarts de richesse sont également persistants. De nombreux facteurs sociaux et éducatifs expliquent ce fossé.
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Les pauvres sont en majorité des femmes
Tout d’abord, les femmes sont plus touchées par le phénomène de pauvreté. En Suisse, dans la catégorie des bas revenus, on trouve plus de femmes que d’hommes: 42% d’entre elles vivent avec un revenu entre 2100 et 4500 francs par mois, contre 15% d’hommes.
Elles représentent la majeure partie des familles monoparentales, qui sont les ménages les plus pauvres. C’est la première catégorie impactée lors d’une pandémie ou d’une envolée de l’inflation. Dès lors, leurs chances de constituer une épargne sont minimes.
Inégalités salariales
Pour toutes les catégories de la société, y compris aisées, les salaires féminins restent inférieurs. Les femmes suisses en 2020 gagnaient 10,8% de moins que les hommes. Au niveau des cadres supérieurs et des directions du secteur privé, ce n’est pas beaucoup mieux. Les rémunérations sont négociées et les profils moins standardisés, ce qui est loin de garantir une égalité de traitement.
Mais surtout, la promotion de femmes à des postes de direction reste une rareté à la tête des sociétés suisses. Les 20 plus grandes entreprises helvétiques cotées au SMI sont ainsi dirigées par 100% d’hommes. Le manque d’accès des femmes à ces postes de direction, dont les rémunérations atteignent plusieurs millions, réduit la probabilité de voir de nombreux patrimoines féminins se constituer au fil des années.
Rentes inférieures
Comme les cotisations au deuxième pilier dépendent du niveau de salaire, les avoirs de vieillesse des femmes augmentent moins que ceux des hommes durant leur carrière. Les rentes des femmes retraitées sont inférieures d’un tiers à celles des hommes en Suisse, selon une étude de l’Université de Saint-Gall réalisée pour la fiduciaire PensExpert – un écart plus élevé que dans les pays scandinaves.
C’est la conséquence des inégalités salariales évoquées plus haut, mais aussi des spécificités du système suisse de retraite. Ce dernier ne prévoit un partage de la caisse de pension qu’en cas de divorce d’un couple marié. Pour les concubins, une séparation n’implique pas que l’épouse aura droit à la moitié du deuxième pilier de son conjoint, même si elle a participé activement à la réussite de sa carrière. La loi ne prévoit pas non plus de prestations en cas de décès pour le conjoint non marié.
Âge de la retraite relevé
Pour remédier aux rentes inférieures des femmes, leur âge de départ à la retraite a été relevé en votation le 25 septembre à 65 ans (réforme AVS21), contre 64 ans auparavant.
Sauf que cette réforme «détériore la situation des 50% de femmes qui gagnent moins de 4000 francs net par mois et qui disposent rarement d’un 2e pilier», souligne la politologue Manuela Honegger. «Celles-ci seront touchées de plein fouet par AVS 21. Elles devront cotiser plus, travailler plus longtemps et leurs retraites diminueront, ce qui aura un impact plus élevé sur leur situation», ajoute encore l’experte. Manuela Honegger préconise d’envisager des prestations sociales cantonales pour compenser cette perte de revenus pour les personnes les plus précaires.
Plus de temps partiel
Une partie des activités majoritairement féminines ne sont pas rémunérées, comme l’éducation des enfants et les soins aux parents. Les lacunes de prévoyance résultent d’une interruption temporaire de carrière pour s’occuper des enfants, mais aussi du temps partiel, un choix souvent lié à la maternité et à l’insuffisance des structures d’accueil des enfants.
Les femmes sont de loin les plus concernées par le travail à temps partiel: trois sur cinq sont dans cette situation en Suisse, contre un homme sur cinq. Or les cotisations sont inférieures pour les personnes qui n’ont pas un emploi à 100%. Notamment parce qu’on ne peut épargner pour sa prévoyance professionnelle qu’à partir d’un revenu annuel de 21’510 francs. On peut certes y remédier en offrant plus de possibilités de rachat au niveau des deuxième et troisième piliers, mais encore faut-il que la situation financière de la mère lui permette de procéder à des rachats.
Moins d’intérêt pour la tech
La création de fortunes dépend aussi fortement du secteur d’activité. Cette dernière décennie, la majeure partie des fortunes se sont créées dans le secteur des hautes technologies. Des spécialistes de l’informatique ont créé des logiciels novateurs, des apps et des plateformes en lançant leur startup.
Or ce secteur est extrêmement masculinisé: les hommes y occupent les trois quarts des emplois et l’écrasante majorité des rôles de fondateurs et de postes de direction. Tout comme la haute finance (analysée plus loin), le monde des high-tech reste relativement fermé aux femmes. Les observateurs s’accordent à dire que la question de l’éducation est primordiale, et que les préférences des jeunes sont très genrées aujourd’hui. Les efforts pour changer la donne doivent donc être entrepris très tôt dans le processus d’éducation.
Moins d’attrait pour la finance
De manière générale, les femmes s’intéressent moins aux placements financiers. Là aussi, c’est une question d’éducation et de culture de genre. L’argent géré par les instituts financiers appartient à 70% à des hommes. Les femmes sont également moins attirées par les métiers de la finance. En Suisse, seulement 6% des gérants de fonds de placement sont des femmes, selon l’Alpha Female Report de Citywire de 2021, contre 28% à Hong Kong.
Cette question est centrale, car l’avenir financier des femmes est largement déterminé par l’intérêt qu’elles portent au domaine financier. Il est établi que les femmes ont un rapport différent à l’argent par rapport aux hommes: elles sont moins portées sur les risques et s’endettent moins, mais s’exposent également à moins d’opportunités, conviennent les études sur le sujet.
Solution: s’éduquer
Une des solutions consisterait à inciter les femmes à s’intéresser plus tôt dans leur vie à l’épargne et à l’investissement, ainsi qu’à la planification de leur retraite. Sophie Mathey-Debeaumont, responsable marketing chez Pristem, a décidé il y a quelque temps de suivre une formation: «La finance m’a toujours intéressée, mais je me sentais désarmée quand il s’agissait de gérer mes finances personnelles». Afin de préparer sa retraite et de planifier ses projets personnels, elle s’est inscrite à une formation financière en ligne à destination des femmes, donnée par Femca. Cette plateforme a été créée par la Parisienne Hélène Gherbi, une ancienne cadre de LVMH. En Suisse, on trouve également Invest Like Aysha, un site de formation fondé par la conseillère financière suisse-romande Aysha Van de Paer.
«Cela m’a beaucoup apporté et permis de comprendre les différents produits et mécanismes de l’investissement financier.» Le catalyseur a été, pour Sophie Mathey-Debeaumont, la lecture du livre «Ce que valent les femmes» de Sarah Genequand Miche. «Sarah a réussi à simplifier l’approche de la gestion financière et la rendre accessible à toutes. Elle a rendu clair ce que beaucoup d’acteurs du monde financier contribuent à rendre opaque, complexe et incompréhensible si on n’est pas du métier.»
Se former et mettre en priorité son avenir financier peut transformer la situation de nombreuses femmes. «Cette initiative que j’ai prise il y a un peu moins d’un an m’a apporté plus d’assurance et de confiance quant à mon avenir, poursuit Sophie Mathey-Debeaumont. Je me sens plus sereine, car je peux et sais comment agir maintenant pour influencer ma situation financière future. J’ai pris conscience que la finance personnelle est accessible à toutes et tous.»