La réforme mondiale de la fiscalité des multinationales, qui est à l'ordre du jour d'un G20 2021 tenu à Venise, vise à réduire la concurrence fiscale entre les Etats. Les grandes économies en seront les principales gagnantes face à des paradis fiscaux perdants, au moins à court terme.
Les grands Etats gagnants
France, Etats-Unis, Allemagne... les grandes économies sont les terres d'origine d'une grande partie des multinationales, et vont donc récupérer une manne non négligeable du futur impôt mondial. Selon l'OCDE, la fixation d'un taux minimum de 15% rapporterait 150 milliards d'euros par an de recettes fiscales supplémentaires.
Le Conseil d'analyse économique (CAE), organisme chargé de conseiller le gouvernement français, a calculé que l'impôt minimum rapporterait à court terme près de 6 milliards d'euros par an à la France, 8,3 milliards d'euros à l'Allemagne et près de 15 milliards d'euros aux Etats-Unis.
Des avantages fiscaux vont persister
La Chine aussi profitera de la réforme, d'autant qu'elle devrait bénéficier, comme d'autres pays, d'exemptions lui permettant de continuer à accorder des avantages fiscaux à certaines entreprises. Ces montants se réduiront toutefois avec le temps, si les pays à fiscalité réduite augmentent leur taux pour se rapprocher du taux minimum.
Attention toutefois: les négociations n'ont pas encore été finalisées sur tout un tas d'exemptions demandées par de nombreux pays pour conserver certains de leurs avantages fiscaux.
Les paradis fiscaux perdants à court terme
Ayant bâti leur attractivité et leurs revenus sur les avantages fiscaux qu'ils accordent aux entreprises, les paradis fiscaux et autres pays à la fiscalité avantageuse, appelés pudiquement «hub d'investissements» par l'OCDE, seront les perdants de la réforme.
La Barbade et Saint-Vincent-et-les-Grenadines n'ont d'ailleurs pas adhéré à l'accord conclu la semaine dernière à l'OCDE, même si la plupart s'y sont finalement ralliés, comme Panama, les Bermudes ou les Iles Vierges britanniques. Aujourd'hui, 131 pays ont signé.
«Ils ont compris qu'ils n'avaient pas la capacité d'empêcher un accord international et font le calcul qu'ils ont intérêt à se montrer coopératifs», analyse Nicolas Véron, économiste au Peterson Institute et à l'institut Bruegel. "Ces pays qui ont attiré pendant des années des coquilles vides vont pâtir de la réforme et vont devoir trouver d'autres moyens de développement», confirme Farid Toubal, économiste à l'université Paris Dauphine et spécialiste du sujet.
Mauvaise nouvelle pour la Suisse
Les pays européens comme l'Irlande, qui a attiré Apple et Google à coup de fiscalité quasi nulle, la Suisse, le Luxembourg ou les Pays-Bas, vont aussi y perdre dans l'immédiat.
«Au-delà de l'impact sur les finances publiques, il est clair que la réforme pourrait affecter les économies et l'emploi de ces pays, notamment si les multinationales relocalisent leurs profits et leurs investissements», souligne aussi Ricardo Amaro, économiste au cabinet Oxford Economics.
En 2018, environ un tiers des profits des multinationales américaines en Europe étaient situés aux Pays-Bas, en Irlande et au Luxembourg, alors qu'ils ne comptaient que pour 5% de leur chiffre d'affaires européen, selon lui. Mais la réforme pourrait aussi les inciter à remonter leur niveau d'impôt pour se rapprocher du taux effectif minimum, ce qui viendrait augmenter leurs recettes fiscales à long terme.
Les pays émergents potentiellement désavantagés
Les ONG spécialisées dans l'analyse de l'optimisation fiscale des entreprises, comme Oxfam, dénoncent le fait que l'accord conclu à l'OCDE profitera essentiellement aux pays riches. «Les pays les plus pauvres vont toucher moins de 3% des recettes supplémentaires générées par le taux minimum de 15%, alors qu'ils représentent plus du tiers de la population mondiale», relève Oxfam.
L'accord conclu jeudi dernier a pourtant progressé par rapport à ce qui était prévu, permettant à ce que davantage de petites économies puissent bénéficier d'une partie de l'impôt sur les bénéfices ainsi redistribué. Il devrait permettre de «réduire la concurrence fiscale agressive que se livrent» un certain nombre d'Etats africains par exemple pour attirer les multinationales, comme les grandes sociétés minières, juge Farid Toubal.»Elles ne vont pas partir de ces pays car les ressources naturelles y sont», et engendreront donc des recettes supplémentaires.
Par ailleurs, les pays en voie de développement ont reçu des garanties dans l'accord pour que les entreprises puissent continuer à bénéficier de certaines déductions lorsqu'elles produisent réellement dans les pays où elles se délocalisent.
(ATS)