La conférence sur l'Ukraine de lundi et mardi prochains est passée d'une réunion sur les réformes, comme les quatre précédentes éditions organisées par d'autres Etats, à celle de la reconstruction de ce pays. Mais la question reste au menu des discussions pour anticiper ce qui «pourra être fait» malgré la guerre.
Au total, les coûts de la reconstruction sont estimés au moins à plus de 600 milliards de francs. Un certain nombre d'acteurs s'inquiètent du fait que l'assistance décidée à Lugano puisse tomber dans les mains d'oligarques. Une préoccupation qui avait agacé le ministre des Affaires étrangères Dmitro Kuleba lors de son récent passage en Suisse et sur laquelle le président de la Confédération Ignazio Cassis se veut rassurant.
Mais des experts avertissent. «Il va être très difficile pour l'Ukraine de faire face aux dangers de corruption qui vont accompagner la reconstruction imminente et massive», dit à Keystone-ATS la directrice générale de l'Institut de Bâle pour la gouvernance, Gretta Fenner. Comme tout pays affecté qui va recevoir des milliards, ajoute-t-elle.
Et la directrice de l'entité présidée par l'expert mondial Mark Pieth d'appeler à ne pas oublier ces dangers lors de la conférence sur la reconstruction et dans le plan d'application. La société civile et la communauté internationale doivent être associées à la surveillance des fonds.
Dans le cas contraire, «je redoute que non seulement beaucoup d'argent soit perdu, mais aussi que les structures oligarchiques contrôleront à nouveau bien davantage l'Ukraine», dit Mme Fenner. Il faut affronter tout un système dans la région, une tâche «extrêmement difficile», admet également la directrice générale.
Les russes à la caisse?
Kiev souhaiterait que les fonds publics et privés russes gelés dans d'autres pays soient utilisés pour la reconstruction. Mi-mai, la Suisse avait bloqué 6,3 milliards de francs d'avoirs russes. Si elle estime que la Russie doit payer pour les destructions, Mme Fenner, spécialiste de ces questions, voit «l'impératif moral de ce principe, mais également des difficultés et des dangers».
Les fonds qui sont la propriété de l'Etat russe pourraient peut-être être activés assez facilement dans un tel dispositif, selon elle. Pour les avoirs privés, il faut pouvoir établir une origine criminelle pour les rapatrier tout en honorant l'Etat de droit et la propriété privée.
Fenner salue les efforts actuels pour lier responsabilité de crimes de guerre et possibilité d'utiliser des actifs gelés pour la reconstruction. «Mais cela ne vaudrait que pour des membres ou des employés du gouvernement et non pour des oligarques», ajoute-t-elle.
Encore du chemin à faire
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a aussi dit à l'Ukraine, que malgré des étapes «dans la bonne direction», davantage doit être fait si elle veut rejoindre l'UE. Que ce soit sur la corruption, où elle fait toutefois partie des 25 pays qui ont avancé largement face à ce problème, les oligarques, les médias ou encore la justice.
Parmi les avancées, la société civile est solide et une semaine de la lutte anticorruption est désormais organisée chaque année. Mais les institutions lancées restent largement exposées aux pressions politiques notamment pour la nomination de hauts responsables.
Pour autant, des procès ont lieu et des responsabilités établies dans certains cas de corruption. La crise constitutionnelle de 2020 a été toutefois largement provoquée par l'absence d'une réforme judiciaire.
Sur la question de la sécurité aussi, l'Ukraine est attendue. Elle a établi des initiatives avec des organisations internationales, dont l'OTAN, pour améliorer la prise en charge de ces stocks d'armement, fait remarquer l'ONG Small Arms Survey à Genève.
Des milliers de munitions illicites avaient été saisies avant la guerre par les autorités. Le trafic international depuis ce pays est resté peu élevé, notamment parce que la demande en armes de petit calibre a été importante dans le pays. «Il est extrêmement difficile de récupérer les armes et les munitions perdues», affirme Small Arms Survey.
(ATS)