Vérité ou propagande?
L'essor des médias de fact checking pro-gouvernementaux inquiète

La montée des projets de fact checking influencés par les gouvernements en Europe soulève des inquiétudes. Des experts alertent sur la difficulté croissante de distinguer entre vérité et propagande, notamment avec une nouvelle initiative russe controversée.
Publié: 12.12.2024 à 11:24 heures
Les experts s'inquiètent face à la montée des sites de fact checking pro-gouvernementaux en Europe.
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

En Europe, la montée des projets de vérification des faits influencés par les gouvernements complique la distinction entre vérité et propagande, alertent certains experts, alors qu'une nouvelle initiative russe suscite des inquiétudes.

La vérification indépendante des faits, le fact-checking, qui utilise des techniques d'investigation numérique et des compétences journalistiques pour repérer les fausses informations, est considérée comme un outil essentiel pour lutter contre la désinformation. Elle est utilisée par des plateformes majeures comme TikTok et Facebook, filiale du groupe Meta.

Mais à mesure que la manipulation de l'information devient plus sophistiquée, les inquiétudes se multiplient face à l'essor d'organismes de vérification des faits défendant en réalité leurs propres intérêts.

Conclusion favorable au gouvernement

En Hongrie, par exemple, le nouveau site Faktum, soutenu par le journal pro-gouvernemental Mandiner, publie des articles favorables au pouvoir et critiques à l'égard de ses opposants. Ainsi, les rédacteurs du site s'interrogent: le cabinet du Premier ministre nationaliste Viktor Orban «laisse-t-il vraiment l'éducation se détériorer», comme le prétend l'opposition.

Dans un autre article, ils imaginent la situation fiscale des familles hongroises avec le système fiscal proposé par l'opposition. Sans surprise, la conclusion est favorable au gouvernement dans les deux cas.

La Russie, terre de la propagande

En Russie, qui utilise le site «War on Fakes» pour diffuser ce que les experts considèrent comme de la propagande d'État, a dévoilé le mois dernier son projet de création d'un réseau mondial de vérification des faits (Global Fact-Checking Network - GFCN).

Projet qui préoccupe l'ONG de défense des droits des médias Reporters sans frontières (RSF). «L'objectif n'est pas tant de convaincre, mais plutôt de semer la confusion sur les faits, sur la réalité», a déclaré à l'AFP Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF.

Des médias russes ont rapporté les propos de Vladimir Tabak, directeur de l'ONG ANO Dialog, affiliée au Kremlin, qui a assuré que le réseau international réunirait ceux qui «partagent nos opinions et nos valeurs».

Vladimir Tabak, lui-même, fait l'objet de sanctions américaines pour avoir tenté d'influencer la récente élection présidentielle américaine, notamment en créant des comptes bots (comptes automatisés) destinés à diffuser de la désinformation sur les réseaux sociaux.

Transparence et méthodologie

Jeanne Cavelier insiste sur l'importance de rester «vigilants à ce sujet». «Le fact-checking en Russie ne sera pas basé sur des faits, mais sur la soi-disant vérité délivrée par le pouvoir politique sans aucune garantie ni indépendance» rappelle la responsable de RSF.

Le nom du réseau russe est proche de celui du réseau international de vérification des faits (IFCN), qui regroupe plus de 170 organisations dans le monde et qui est hébergé par Poynter, une organisation de journalisme et de recherche à but non-lucratif basée aux États-Unis.

Afin de garantir la qualité du contenu proposé, les signataires de l'IFCN et de son homologue européen, l'EFCSN, sont régulièrement contrôlés par des évaluateurs externes. Ils doivent se conformer à un code de principes qui inclut la transparence des sources, du financement et de la méthodologie, ainsi qu'un engagement d'impartialité politique.

Des pressions sur les chercheurs

Le service de vérification des faits de l'AFP est signataire de l'IFCN et de l'EFCSN, et travaille avec Meta et TikTok. «Le fact-checking a besoin de crédibilité», a déclaré Clara Jimenez Cruz, présidente de l'EFCSN et membre du conseil consultatif de l'IFCN.

Selon les observateurs, les partis politiques ou les gouvernements qui tentent de s'immiscer dans la vérification des faits ne sont pas une tendance nouvelle et ne se limitent pas aux pays autoritaires, des exemples ayant été observés ces dernières années en Grèce, en Croatie et en Espagne.

Un rapport de Freedom House publié en octobre citait des cas où des chercheurs indépendants spécialisés dans la vérification des faits et la désinformation avaient subi des pressions en Egypte, en Inde, en Corée du Sud et aux États-Unis au cours des 12 derniers mois seulement.

Des sites russes imitant les Occidentaux

Le projet de la Russie de créer un réseau international d'organisations de vérification des faits partageant les mêmes idées est pour l'instant «un projet de niche», a déclaré Ilya Yablokov, chargé d'enseigner le journalisme numérique et la désinformation à l'université de Sheffield en Angleterre.

Mais il s'inscrit dans une stratégie plus large visant à «manipuler l'information pour garder le contrôle de l'opinion publique dans un environnement très conflictuel» et ainsi diffuser le discours du Kremlin à l'étranger, a-t-il ajouté à l'AFP.

Il met en avant l'exemple des sites Doppelganger, liés à la Russie, qui imitent des médias occidentaux pour mettre en avant un narratif pro-russe autour de l'Ukraine.

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