Dans sa requête déposée en novembre dernier, dont l’AFP a obtenu une copie, l’International foundation for better governance (IFBG, Fondation internationale pour une meilleure gouvernance) affirme qu’au moment de sa naturalisation l’ex-oligarque ne «résidait en France ni de façon habituelle, ni depuis cinq années».
Il «ne parlait pas français» et «n’était en rien assimilé à la communauté française», critères exigés, sauf exceptions, pour obtenir la nationalité française, insiste cette fondation privée.
«Les intérêts de Moscou»
A l’appui de sa demande, l’IFBG cite deux entretiens accordés à des chaînes françaises en 2016 dans lesquelles Sergueï Pougatchev s’exprime en anglais. Elle affirme que ses enfants «ont été éduqués en Russie et au Royaume-Uni» et qu’au cours d’une procédure au Royaume-Uni son ex-épouse a déclaré que le couple vivait «principalement à Moscou entre 1990 et 2011».
«Toutes les allégations et les rumeurs sur ce sujet sont infondées», a réagi auprès de l’AFP une avocate de M. Pougatchev, Anne-Jessica Fauré. Alors que le milliardaire mène depuis des années un bras de fer judiciaire avec Moscou, l’avocate voit dans cette démarche une tentative des autorités russes pour porter «atteinte à son honneur».
A ce jour, seule la Russie a contesté la nationalité française de M. Pougatchev, a ajouté l’avocate, accusant l’IFBG d’être «un lobby servant manifestement les intérêts de la Fédération de Russie et d’oligarques proches du régime». La date de l’audience au Conseil d’Etat n’est pas encore fixée.
Liens avec la France
Dans un entretien publié par Marianne en février 2019, l’homme d’affaires qui vit près de Nice mettait en avant ses liens avec la France: «Je me sens ici chez moi. Je m’y suis installé avec ma famille en 1994, après quelques années aux Etats-Unis. Mes parents sont enterrés ici, ma soeur y vit, mes fils aînés y ont grandi et mes cinq petits-enfants y sont nés».
L’IFBG se présente comme une fondation «visant à défendre les droits des entrepreneurs en Europe et notamment dans les pays de l’Europe de l’est». Elle explique que si M. Pougatchev a acquis par fraude la nationalité française, cela pourrait jeter le discrédit sur les autres entrepreneurs russes «souhaitant faire du commerce en France, s’y établir et, un jour, en acquérir loyalement la nationalité».
Elle estime aussi que ce passeport français a permis à l’oligarque de «quitter illégalement le Royaume-Uni», où il était poursuivi pour des soupçons de faillite frauduleuse de sa banque Mejprombank.
«Sergueï Pougatchev a fait fortune de façon illégale, il a été poursuivi en Grande-Bretagne parce qu’il est soupçonné d’avoir spolié les clients de sa banque, et maintenant il jouit de sa fortune en France», a expliqué un porte-parole de l’IFBG à l’AFP.
Ex-«banquier du Kremlin»
Ex-sénateur de Sibérie, un temps surnommé «le banquier du Kremlin» sous la présidence de Boris Eltsine avant de tomber en disgrâce, Sergueï Pougatchev est recherché en Russie pour «escroquerie» et «détournement de fonds». Il a définitivement quitté le pays en 2011.
L’Agence russe pour l’assurance des dépôts (AAD), liquidatrice des avoirs de la Mejprombank, a obtenu de la justice britannique en 2014 le gel de ses avoirs et une interdiction de quitter le territoire. En 2016, la Haute Cour de Londres l’a condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir dissimulé certains de ses avoirs et quitté le Royaume-Uni sans remettre son passeport français.
L’ancien propriétaire du fleuron français de l’épicerie fine Hédiard (2007-2014), dont le fils Alexandre fut le patron du quotidien France-Soir (2009-2012), affirme lui avoir été «dépouillé» de son empire industriel en Russie, contraint de le brader à des entreprises d’Etat.
Une information judiciaire est en cours en France depuis 2014 suite à sa plainte pour «extorsion» et «escroquerie». Le tribunal arbitral de Madrid, devant lequel il réclamait 12 milliards de dollars à la Russie, s’est en revanche déclaré incompétent en juin 2020. Sergueï Pougatchev a fait appel de cette décision.