Une famille ukrainienne décimée
Sur le site du massacre de Babi Yar, une frappe russe remue les symboles

La frappe russe sur la tour de télévision de Kiev, mardi, a fait cinq morts, là même où une fosse commune avait accueilli les corps de 33'771 Juifs massacrés par les nazis à la fin septembre 1941.
Publié: 02.03.2022 à 13:35 heures
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La tour de télévision touchée la veille par une frappe russe, le 2 mars 2022 à Kiev.
Photo: DIMITAR DILKOFF

Quatre-vingt ans après que le site de Babi Yar a servi de fosse commune à 30'000 Juifs assassinés par les occupants nazis en Ukraine, cinq corps gisent sur le sol mercredi, recouverts d'une fine couche de neige, après une frappe russe.

Le tir d'un missile russe contre la tour de télévision de Kiev s'est produit mardi après-midi. Depuis lors, personne n'a osé approcher les corps. «On nous a dit de rester loin, les saboteurs russes pouvaient être présents pour finir le travail», explique à l'AFP Volodymyr Roudenko, un avocat de 50 ans et volontaire de la défense qui a passé la nuit de mardi à mercredi sur place, en attendant les légistes.

Selon les policiers, c'est a priori une famille qui a été décimée: père, mère, fille et fils adolescents. Mais les victimes n'ont pas encore pu être formellement identifiées. Elles ont été tuées en sortant de l'épicerie où elles s'approvisionnaient, juste avant le couvre-feu. L'alarme du magasin, aux vitres et étagères pulvérisées par la frappe, sonne elle dans le vide. La cinquième victime est un journaliste de la télévision d'État ukrainienne, selon une carte de presse retrouvée sur lui et présentée à l'AFP.

«C'est notre vérité qu'ils veulent attaquer»

Une camionnette militaire estampillée «morgue» est arrivée dans la matinée, et les soldats chargés d’évacuer les corps calcinés luttent maladroitement dans le froid et la stupeur, pour déplier la bâche de plastique grise qui servira à les recouvrir.

La tour de la télévision, une structure de métal haute de 300 m qui disparaît dans le brouillard, est noircie par le souffle de l'explosion, mais tient debout. Une autre antenne de la télévision d'État a pris le relais de la diffusion.

Au pied de la grande dame de fer rouge et blanche, un champ de débris pulvérisés sur la route est visible sur plusieurs dizaines de mètres. «Cette tour, c'est notre symbole de vérité, d'informations libres, de vraies nouvelles, c'est notre vérité qu'ils veulent attaquer», affirme Volodymyr Roudenko, l'avocat-volontaire, armé.

Le site d'un massacre nazi

Mais le site est aussi celui d'un autre symbole. Tout autour, et sous leurs pieds, s'étend sur plusieurs kilomètres le site hautement symbolique de Babi Yar, un charnier contenant les restes de 33'000 Juifs qui ont été massacrés par balles à cet endroit en 1941, alors que la ville était sous occupation nazie.

Le mémorial en leur mémoire, un parc aménagé situé à un kilomètre de la tour de la télévision, n'a pas été directement touché par les frappes.

Au milieu des bouleaux, dans un silence ouaté par la neige, soudainement interrompu par le hurlement inquiétant d'une sirène antiraid aérien, les sculptures en mémoire des victimes, dont une immense Menorah, candélabre juif, sont bien intactes.

«Je n'arrive pas à croire ce que je vois»

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui est lui-même Juif, a accusé mercredi Moscou de chercher à «effacer» l'Ukraine et son histoire, appelant les Juifs «à ne pas rester silencieux».

Pour le grand rabbin d'Ukraine, Moshe Asman, qui organise l'évacuation de la communauté juive locale de la ville de Kiev, la frappe russe contre des civils sur ce site relève du «crime de guerre».

«Je n'arrive pas à croire ce que je vois», a réagi mardi soir auprès de l'AFP le grand rabbin, qui avait déclaré lors de la dernière cérémonie mémorielle organisée il y a un mois à Babi Yar: «Une guerre est facile à commencer mais très difficile à terminer.»

(AFP)

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