La Grèce est en feu. Le pays vit depuis une semaine sa pire canicule depuis trois décennies, avec des températures bloquées au-dessus de 30 degrés jour et nuit et des pics dépassant facilement les 40 degrés.
La chaleur, Simon Mizitrano y est habitué. Cet employé dans l'industrie maritime a quitté Fribourg en 1996, après son apprentissage, pour tenter sa chance en Grèce. Devenu père de famille heureux à Athènes, il raconte pour Blick les incendies qui ravagent la capitale.
Comment vivez-vous cette canicule?
C'est très éprouvant. Ce n'est pas forcément la chaleur qui est problématique, mais la durée de la canicule que nous vivons. Voici deux semaines que la température est de 35-40 degrés, presque sans discontinuer.
Quand on a grandi en Suisse, cela doit être bizarre à vivre...
La chaleur fait partie de notre réalité en Grèce, où nous sommes habitués et très bien équipés. Absolument tout est climatisé: les maisons, les voitures. C'est un gouffre énergétique, mais aussi une question de survie. Ceci dit, même avec ça, la situation est particulièrement pénible. Surtout que les températures rapportées sont encore sous-estimées.
Sous-estimées, vraiment?
Il y a la température réelle et la température ressentie, qui sont deux choses bien distinctes. Hier (jeudi, ndlr.), la température réelle était de 42 degrés environ. A certains endroits sans végétation, on peut facilement dépasser les 50 degrés ressentis. Au milieu du trafic dans une zone bétonnée, cela devient infernal. Si seulement vous pouviez nous envoyer un peu de votre pluie! (Rires)
Au-delà de cette canicule exceptionnelle, cet été grec est surtout marqué par des incendies...
De fin juillet et jusqu'en septembre, le meltem, ce fameux vent qui vient de la Turquie, souffle fort. Certaines rafales atteignent 8 et plus sur l'échelle de Beaufort (plus de 60 km/h, ndlr). Avec le vent, les flammes passent de 5 à 20 mètres de haut. Mais là encore, il s'agit de notre réalité estivale.
Pourtant, cette année, la couverture médiatique est internationale.
Ce qui est impressionnant, c'est le nombre des feux de forêt en parallèle. Il y a 15 ou 20 endroits qui brûlent simultanément. Le plus important incendie se déroule dans la banlieue nord d'Athènes, au Mont Parnès. Ce n'est pas un hasard, puisque ce sont les zones les moins favorisées de la capitale.
Pourquoi n'est-ce «pas un hasard»?
Le changement climatique joue un rôle, évidemment, mais c'est un raccourci un peu simpliste. Il y a de nombreux facteurs qui expliquent ces feux de forêt. Même si des efforts louables ont été fournis, la gestion des ordures en est un. Une bouteille de Coca en verre qui traîne peut réfléchir les rayons du soleil et faire partir un incendie, tout comme les mégots. La jeune génération est beaucoup plus attentive à cette problématique. Mais il reste énormément de travail à tant de niveaux.
Qu'est-ce qui manque pour lutter?
La crise de 2008 a fait très mal au pays. Il a fallu couper, couper et encore couper dans les budgets, et les pompiers ne font pas exception. Cette profession est très mal payée alors qu'elle est très dangereuse. Des solutions ont été trouvées, comme un partenariat avec l'Australie pour les Canadairs (c'est l'hiver en Australie durant l'été grec, et vice-versa, ndlr.), et les pompiers se professionnalisent, mais l'argent reste le nerf de la guerre. En outre, les feux ne s'arrêtent pas durant la nuit, ce qui rend le combat inégal.
Vous semblez plutôt calé en matière d'incendie!
Vous savez, nous en parlons beaucoup en Grèce. Il s'agit forcément d'un sujet qui alimente les discussions et anime la population. Il suffit qu'il y ait du vent dans les prévisions en été et on sait que cela va flamber. C'est presque automatique. Cela alimente un certain fatalisme dans la population. Et une colère, pour ce qui est des incendies criminels.
Ces incendies criminels sont-ils fréquents?
Pour pouvoir l'affirmer, il faudrait pouvoir le prouver! Or, c'est très difficile. La plupart du temps, les enquêteurs définissent que c'est un crime, par exemple en retrouvant les petites bonbonnes de gaz qui ont servi à les allumer, mais identifier les auteurs est une autre histoire... Même si en 2018 par exemple, la justice avait lancé des poursuites pénales à l’encontre de seize personnes, dont des élus locaux et des responsables des pompiers, dans des incendies qui avaient fait une centaine de morts en périphérie d'Athènes. Et le fait qu'il n'y ait pas de cadastre n'aide pas.
Quelles sont les motivations des auteurs?
En Grèce, on peut construire sur une forêt seulement si celle-ci a brûlé. Au premier incendie, il faut un demi-siècle pour que la végétation revienne. Au second, c'est terminé. L'eau salée utilisée par les Canadairs n'aide pas non plus les cultures, sans compter le manque de désherbage... Avec la difficulté pour les enquêteurs d'identifier les responsables, cela alimente des velléités incendiaires chez les promoteurs. Ce n'est pas moi qui l'affirme — c'est une réalité très documentée par la presse. Le jeu des chaises musicales parmi les autorités, qui changent régulièrement de majorité, n'aident pas.
Les flammes de cette année vous font-elles craindre pour votre intégrité physique et celle de votre famille?
Malgré le manque de moyens, il y a une bonne organisation et du savoir-faire chez les forces d'intervention. On ne peut pas éviter les dégâts matériels, mais il est peu fréquent que la population soit en danger à Athènes. En province, c'est plus délicat, parce que les gens veulent souvent sauver leur maison ou leurs biens. Elles se font parfois piéger par le feu.