Mardi, la ville désertique de Dubaï a été placée en état d'urgence. En l'espace de 24 heures, il s'y est abattu plus de pluie que durant toute l'année. Les 254 millimètres de précipitations ont provoqué des inondations, des annulations de vols et des dégâts matériels.
Des rumeurs ont rapidement circulé: cette tempête historique aurait été causée, entre autres, par ce qu'on appelle le cloud seeding. L'autorité météorologique nationale a ensuite démenti cette information. Les Émirats arabes unis (EAU) inoculent depuis les années 1990 des nuages à l'aide d'avions et de canons de pulvérisation afin de générer de la pluie. Mais cela ne serait pas la cause. Une experte de l'EPFZ revient sur l'événement. Interview.
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Madame Lohmann, les Émirats arabes unis manipulent-ils la météo par le biais de l'ensemencement de nuages ou s'agit-il simplement d'une théorie du complot?
Une telle inoculation des nuages, comme le font les EAU, est tout à fait possible, du moins en théorie.
C'est-à-dire?
Dans la réalité, elle ne fonctionne que dans de rares cas. 90% des nuages ne pleuvent pas, mais disparaissent sans laisser de précipitations. Même si j'inocule ces nuages, les gouttes de pluie s'évaporeraient déjà en route vers le sol. Ce n'est donc pas possible. Le cloud seding n'est donc utile que lorsqu'un nuage ne parvient pas à former des précipitations par lui-même.
Pourtant, lors des intempéries de Dubaï, on a affirmé que des nuages avaient été inoculés peu avant. Cela aurait-il joué un rôle?
De mon point de vue, non. Lorsqu'il y a déjà de fortes intempéries, cela ne joue plus aucun rôle d'inoculer les nuages. Ce qui est déterminant, c'est en premier lieu la puissance du nuage. Autrement dit, jusqu'où il s'étend en altitude. Car plus les gouttelettes d'eau s'élèvent, plus elles grossissent. Et ensuite, il pleut de toute façon.
Malgré tout, les EAU effectuent 300 vols par an pour inoculer les nuages.
Ça ne veut pas dire que c'est efficace. La péninsule arabique est une région sèche, l'humidité de l'air y est faible. Et plus il fait sec près du sol, moins les précipitations ont de chances d'arriver jusqu'à terre.
La technologie est donc inutile?
Sauf dans de très rares cas, oui. De plus, le peu que l'on peut réellement extraire des nuages est, à mon avis, disproportionné par rapport à l'ampleur des moyens mis en œuvre. Il faut beaucoup d'énergie, des appareils de vol coûteux et aussi le bon matériel d'ensemencement.
Les autorités de l'État arabe utilisent une solution saline pour leur cloud seeding. Ce qui est pulvérisé dans les nuages a-t-il de l'importance?
Si un nuage ne pleut pas en été, c'est parce que ses gouttelettes sont trop petites. La méthode consiste à givrer les gouttelettes à l'aide d'iodure d'argent afin qu'elles grandissent. Mais cela n'est possible que si le nuage grandit suffisamment pour atteindre des températures inférieures à 0 degré dans sa partie supérieure. L'autre possibilité consiste à utiliser une solution saline pour faire tomber quelques grosses gouttelettes de nuage, qui entrent ensuite en collision avec des gouttelettes plus petites. Mais je ne pense pas que ce soit plus efficace.
Pourquoi n'en parle-t-on pas en Europe?
L'inoculation des nuages est un sujet de discussion ici. La Suisse a déjà mené de nombreux essais à grande échelle avec l'iodure d'argent dans les années 70 et 80.
La Suisse voulait manipuler la météo?
Il s'agissait de lutter contre la grêle. On a essayé d'introduire davantage de germes de glace dans les nuages d'orage afin que plus de cristaux de glace se forment. Ainsi, les grêlons deviennent moins gros et provoquent moins de dommages dus à la grêle. Les essais réalisés à l'époque n'ont pu démontrer aucun avantage. Malgré cela, l'iodure d'argent continue d'être utilisé dans de nombreux pays européens pour lutter contre la grêle. Mais une comparaison entre les nuages inoculés et non inoculés est rarement effectuée. Et il est alors difficile de dire si cela sert à quelque chose.
Le changement climatique va également entraîner une augmentation de la sécheresse en Suisse. Le cloud seeding ne serait-il pas une solution pour lutter contre celle-ci?
Non.
Pourquoi pas?
La sécheresse est généralement liée à de grandes périodes de chaleur. Et pendant les périodes de chaleur, les nuages se forment rarement.
Y a-t-il des inconvénients à pulvériser de l'iodure d'argent ou du sel dans l'atmosphère?
D'une part, l'iodure d'argent est toxique en grande concentration. Une utilisation sur plusieurs années ne serait certainement pas bonne. D'autre part, c'est aussi une question politique. Est-ce que tel ou tel orage s'est produit parce que les nuages ont été inoculés? Ou est-ce que la grêle tombera chez un autre agriculteur si j'ensemence les nuages pour protéger mes cerises? Si oui, peut-il me poursuivre en justice? Il peut en être de même entre deux pays.
Avec le cloud seeding, l'eau peut donc être captée par des pays voisins?
En théorie, oui, et ce serait très délicat. J'ai déjà entendu ce reproche dans le monde arabe. Un pays proche de l'océan, par exemple, a un avantage. Et si celui-ci fait en sorte que les nuages tombent plus tôt, les pays suivants n'auront rien.
Le temps peut-il changer à plus long terme si l'on pratique le cloud seeding pendant plus de 30 ans?
Non, le cloud seeding n'a qu'un effet très local.
Alors, qu'est-ce qui a provoqué l'événement extrême de Dubaï?
Cet hiver, nous n'avons jamais eu de répartition stable des hautes et basses pressions. Cela a pour conséquence que le jet stream, le flux d'air dans la troposphère, tangue plus que d'habitude. On peut alors s'imaginer que le jet stream est une vague qui se brise sans cesse. Des gouttes d'air froid peuvent ainsi se détacher, développer leur propre vie et poursuivre leur chemin. C'est peut-être ce qui s'est passé à Dubaï.
Dans quelle mesure le réchauffement climatique joue-t-il un rôle?
En raison du réchauffement climatique, l'atmosphère contient davantage de vapeur d'eau. C'est ce qu'on appelle la chaleur latente. Si des gouttelettes d'eau se forment, une grande quantité d'énergie est libérée. Cela provoque des orages plus puissants. Et la vapeur qui se condense tombe ensuite sous forme de pluie. C'est pourquoi, avec le changement climatique, ces intempéries ne seront pas plus fréquentes, mais plus intenses.