Un médicament à 200'000 francs par an
«Yannick va mourir et pourquoi? Pour que les chefs de la pharma se paient une Rolex»

De nouveaux comprimés permettent de sauver les enfants atteints de mucoviscidose, une maladie mortelle. Leur autorisation en Suisse est pourtant sur la sellette: les médicaments en question coûtent extrêmement cher. Le bras de fer est engagé entre les pharmas et l'OFSP.
Publié: 10.04.2022 à 12:27 heures
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Dernière mise à jour: 10.04.2022 à 14:44 heures
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Yannick, sept ans, est atteint de mucoviscidose.
Photo: Thomas Meier
Danny Schlumpf

C'est la hantise de tous les parents. Dix jours à peine après la naissance du petit Yannick, le diagnostic médical tombe, implacable: l'enfant est atteint de mucoviscidose. Cette maladie héréditaire et mortelle provoque des mucosités dans les poumons et les détruit.

Un choc pour les parents de Yannick. «Au cours de sa première année de vie, notre fils a dû se rendre huit fois aux urgences, raconte sa maman, Claudia. La maladie a freiné son développement dès la naissance. Il était alors très léger et très petit.»

Yannick, âgé désormais de sept ans, est toujours chétif. La maladie n'entrave pas seulement sa respiration, mais aussi son alimentation. Pour pallier à cela, il avale avant chaque repas trois gros comprimés contenant des enzymes digestives. «Sans eux, il ne pourrait pas assimiler la nourriture», explique son papa, Roland.

Un millier de personnes concernées en Suisse

Au total, le petit doit ingérer cinq médicaments différents. Dans les phases aiguës, il y en a plus, surtout des antibiotiques. En été, lorsque Yannick transpire et perd trop de sel, on ajoute des solutions de chlorure de sodium à son régime.

En Suisse, environ 1000 personnes sont atteintes de cette maladie rare. Elles souffrent de toux avec expectorations visqueuses, de douleurs abdominales, de troubles digestifs, d'infections et de difficultés respiratoires.

Yannick doit régulièrement recourir à un inhalateur. Il suit des séances de physiothérapie et se rend à l'hôpital tous les trois mois: contrôle pulmonaire, test sanguin, radiographie, échographie.

Sous perfusion à la place du terrain de jeu

Le petit garçon est bien conscient de son trouble. «J'ai des poumons malades depuis ma naissance, mais je ne suis pas contagieux, raconte-t-il. Les médicaments et les thérapies, c'est agaçant, parfois, mais je ne peux pas faire sans.»

Ce qu'il préfère, c'est aller sur la place de jeu avec son frère Marvin. Mais la maladie lui joue régulièrement des tours: cet été, le garçon a attrapé un pseudomonas. Cette bactérie est un cauchemar pour les patients atteints de mucoviscidose, car elle est résistante aux antibiotiques. Finalement, Yannick n'aura pas passé ses vacances d'été sur le terrain de jeu, mais sous perfusion à l'hôpital pédiatrique.

Récupération en quelques semaines

Car le drame est là: la mucoviscidose est incurable et, sans traitement, elle entraîne la mort avant l'âge de vingt ans. Avec la prise de nombreux comprimés, l'espérance de vie des personnes soutenues médicalement peut s'allonger, jusqu'au-delà de 40 ans, tout au plus.

Mais il y a de l'espoir: le groupe pharmaceutique américain Vertex a développé un médicament, le Trikafta, qui s'attaque à la racine de la maladie. Depuis un an, la préparation est autorisée en Suisse pour les patients à partir de douze ans.

L'effet est stupéfiant. «Ça m'a époustouflée», confie Adina, 22 ans. Depuis sa naissance, la Bâloise luttait contre les symptômes de la mucoviscidose. L'été dernier, elle a reçu les nouveaux comprimés. «Ils ont complètement libéré mes poumons des mucosités, explique la future assistante médicale. En quelques semaines, tout a changé et mon organisme s'est rétabli.»

200'000 francs de frais par an

Le professeur Alexander Möller est spécialiste des poumons et directeur du centre pour la mucoviscidose à l'hôpital pédiatrique de Zurich. Il explique: «L'effet du Trikafta est radical. Le médicament change tout. Il s'attaque à la cause et stoppe l'évolution de la maladie.»

Désormais, l'autorité de contrôle des produits thérapeutiques Swissmedic a également autorisé la préparation pour les enfants à partir de six ans. Alexander Möller salue cette décision. L'hôpital pédiatrique de Zurich a participé à une étude mondiale sur le Trikafta auprès de nombreux enfants. «Quand j'ai vu les effets qu'il avait sur une fillette gravement malade, j'ai pleuré», nous confie le spécialiste.

C'est une bonne nouvelle pour Yannick et les 150 autres enfants âgés de six à onze ans qui souffrent de la maladie en Suisse. Mais l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) doit d'abord accorder l'autorisation pour que le Trikafta soit pris en charge par les caisses d'assurance. Sans elles, rien n'est possible: les pilules coûtent 200'000 francs par patient et par an.

Vertex ne plie pas

«Ce médicament est beaucoup trop cher», se désole le professeur Alexander Möller. C'est également l'avis de l'OFSP. En effet, l'extension de l'autorisation à davantage de patients augmente le chiffre d'affaires de Vertex. L'OFSP et le groupe pharmaceutique se disputent au sujet d'un nouveau prix.

Ce n'est pas nouveau: l'autorisation du prédécesseur de Trikafta, Orkambi, avait déjà été précédée de longues années de négociations sur le prix. Le groupe Vertex, dirigé par Reshma Kewalramani, est dur en affaires.

«En tant que personne concernée, j'ai longtemps pensé que la pharma voulait vraiment aider», déclare Reto Weibel, président de l'organisation de patients Mucoviscidose Suisse. «La réalité, c'est que ces gens veulent faire un maximum de profit. Et les médicaments efficaces contre les maladies rares en rapportent beaucoup.»

Comme justification, les pharmas invoquent volontiers les coûts de développement élevés des médicaments. Mais elles profitent aussi de réductions d'impôts dans le monde entier, de la protection des brevets et de certains monopoles sur des produits au sujet desquels les études cliniques sont payées par ces mêmes entreprises.

Une bataille des prix difficile à supporter

Les prix élevés qui permettent à l'industrie pharmaceutique de réaliser de gros bénéfices sont au cœur du débat, tout particulièrement en Suisse: depuis 2014, les dépenses totales en médicaments dans tout le pays ont augmenté de 30%. «Cela est principalement dû à de nouveaux médicaments dans le domaine des anticancéreux et des immunosuppresseurs, vendus à des prix très élevés, explique l'OFSP. Le traitement de maladies rares comme la mucoviscidose contribuent également à la forte hausse des coûts.»

Pour Reto Weibel, il est clair que «Vertex doit maintenant baisser le prix du médicament». L'enjeu est de taille: si le groupe ne va pas dans le sens de l'OFSP, l'office devra refuser l'autorisation de mise sur le marché pour les enfants à partir de six ans. Yannick devra alors attendre. La maladie, elle, n'attend pas.

«Tout ça pour que la cheffe de la pharma se paie une Rolex»

Pour la mère de Yannick, ce jeu cynique au sujet des prix est difficile à supporter. «Je suis comptable, mais je n'arrive pas à comprendre que l'entreprise veuille à ce point négocier chaque centime, explique-t-elle. Seuls comptent les bénéfices et les bonus des managers.»

Il faut dire que la directrice de Vertex, Reshma Kewalramani, n'est pas trop à plaindre sur ses revenus: l'année dernière, elle a gagné quinze millions de dollars. «Cette logique est absurde, se désole Claudia. Yannick va peut-être mourir alors qu'un médicament existe. Tout ça pour quoi? Pour que la cheffe de la pharma se paie une nouvelle Rolex!»

Ni Vertex ni l'OFSP ne se laissent aller à des confidences, malgré nos sollicitations. Ils ne souhaitent donner aucune information sur les négociations des prix.

(Adaptation par Alexandre Cudré et Lliana Doudot)

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