Les réactions ont été vives après les nouvelles déclarations du conseiller fédéral Ueli Maurer. L’élu UDC a qualifié la guerre en Ukraine de «guerre par procuration» devant la section locale de son parti, en Argovie.
Mais le conseiller fédéral n’aurait pas complètement tort dans les faits, explique Michael Wyss. Cet expert militaire effectue des recherches sur les guerres par procuration à l’Académie militaire de l’EPFZ.
«On parle de guerre 'par procuration' lorsque des parties tierces tentent d’influencer indirectement le déroulement ou l’issue d’un conflit armé en fonction de leurs propres objectifs stratégiques. En fournissant par exemple une offre de formation, de l’argent, des armes ou un soutien lors de la planification et de l’exécution d’opérations militaires, mais sans avoir leurs propres 'boots on the ground'», éclaire-t-il. Autrement dit, ces autres nations n’envoient pas leurs propres troupes sur sol étranger, mais appuient l’une des camps par d’autres moyens.
Une véritable guerre par procuration
Ce terme s’applique sans aucun doute à la guerre en Ukraine, poursuit l’expert. «En plus des armes, il est de notoriété publique que l’Ukraine reçoit un soutien actif de la part de l’OTAN. Et notamment des Etats-Unis dans les domaines du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance.»
Le soutien apporté aux séparatistes russes par Vladimir Poutine dans l’est de l’Ukraine à partir de 2014 relevait déjà de la guerre par procuration. «Pendant la guerre froide, les guerres par procuration étaient fréquemment une alternative à la confrontation directe entre grandes puissances, explique Michael Wyss. Mais elles sont toujours très répandues aujourd’hui. Il suffit d’observer, par exemple, les conflits armés en Syrie, en Libye et au Yémen.»
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Pourquoi les propos d’Ueli Maurer ont-ils donc provoqué un tel tollé? «Le problème est que l’expression de 'guerre par procuration' a souvent une connotation négative dans la perception publique, poursuit l’expert. Elle n’est généralement pas utilisée de manière analytique.»
Egalement une guerre d’agression
Du point de vue de la science militaire, cette appellation n’est pas problématique. Mais on peut se demander si elle fonctionne différemment sur le plan politique, nuance Michael Wyss. Avec sa déclaration, Ueli Maurer a certainement mis à mal le principe de collégialité. Jusqu’à présent, la communication officielle du Conseil fédéral n’a jamais parlé de «guerre par procuration».
Si l’expression peut s’appliquer à la guerre en Ukraine, elle ne dégage en aucun cas la Russie de sa responsabilité, insiste le spécialiste. Autrement dit, le fait que l’OTAN se trouve actuellement dans une guerre par procuration avec Moscou ne change rien au fait que la Russie mène une guerre d’agression contre l’Ukraine depuis le 24 février.
Ueli Maurer avait en effet profité de l’occasion pour laisser entendre que la neutralité était menacée par l’adoption des sanctions. Or, on ne peut pas affirmer que la Suisse est entrée dans cette guerre par procuration uniquement en raison des sanctions. «Je ne considère pas les sanctions économiques à elles seules comme une participation indirecte à la guerre, tranche Michael Wyss. Même si elles complètent d’autres mesures.»
Le conseiller fédéral UDC avait enfin asséné qu’une guerre nucléaire n’était pas à exclure dans quelques semaines. Mais selon l’expert de l’EPFZ, le risque d’escalade dans les guerres par procuration est très difficile à prévoir. D’après lui, dans le cas d’espèce, ni l’OTAN ni la Russie n’ont intérêt à une confrontation directe. Une telle éventualité ne peut toutefois jamais être totalement exclue, que ce soit en raison de provocations ciblées ou simplement d’une série de malentendus et d’erreurs de calcul, rappelle Michael Wyss.