La guerre éclair en Ukraine a échoué. Il y a trois mois encore, il était question de prendre l’Ukraine «en quelques minutes». Une forme de résignation s’est installée dans le camp russe. L’armée ukrainienne tient toujours, même si l’envahisseur progresse dans le Donbass. Les troupes de Vladimir Poutine ont enregistré des pertes importantes et des revers cuisants. De nombreux observateurs décrivent un président russe acculé.
Poutine légitime la guerre en jouant la victime
Marco Steenbergen, politologue à l’université de Zurich, est conscient du danger d’un Poutine humilié, comme il l’explique dans un entretien avec Blick. Il estime que le despote du Kremlin joue les victimes depuis longtemps. «Vladimir Poutine s’est toujours considéré comme une victime, c’était déjà le cas avant la guerre d’Ukraine.»
Cela a pu être constaté à maintes reprises. Lors de son discours du 9 mai, le président russe a souligné plusieurs fois que l’Occident était pratiquement sur le point d’envahir la Russie et que la guerre en Ukraine était une «attaque purement préventive». Le rôle de victime est dûment travaillé, estime Marco Steenbergen. «Peut-être qu’il se sent effectivement menacé par l’Occident, peut-être aussi qu’il a des fantasmes impérialistes qu’il tente de justifier. Avec Poutine, on ne peut jamais avoir de certitudes.»
Quoi qu’il en soit, le chef du Kremlin se sert de l’Occident et d’une éventuelle menace pour justifier la guerre en Ukraine. «Il légitime cette guerre cruelle vis-à-vis de sa propre population et vis-à-vis du monde entier», explique l’expert zurichois.
Une union fragile
Marco Steenbergen ne peut prédire l’issue de la guerre, mais il ne pense pas que Vladimir Poutine abandonnera son projet de sitôt. Faudrait-il lui ménager une porte de sortie honorable? «En voudrait-il seulement?», s’interroge l’expert.
Le chef du Kremlin aspire à la division de l’Occident. «Nous sommes enfin arrivés à un point où l’Occident est uni et tire à la même corde. Il faut donc faire attention. Si certains décident qu’il faudrait désormais aider Poutine, alors il aura atteint son objectif.» Le front occidental est plus fragile qu’il n’y paraît.
Où s’arrêtera Poutine?
Vladimir Poutine ne veut pas seulement dresser les nations occidentales les unes contre les autres. Comme il l’a encore clairement indiqué le 9 mai, il veut s’emparer du Donbass, de la Crimée et maintenir un pont terrestre entre la péninsule et la Russie. Lors du Forum économique mondial de Davos, l’ancien secrétaire d’État américain et prix Nobel de la paix Henry Kissinger proposait qu’on lui laisse ces territoires et appelait l’Ukraine à entamer des négociations «avant de provoquer des bouleversements et des tensions qui ne seront pas faciles à surmonter».
Le chancelier allemand Olaf Scholz, de son côté, semble en appeler à un cessez-le-feu: «Peut-on combattre la violence par la violence?»
Marco Steenbergen est catégorique: un cessez-le-feu ce ne serait qu’un répit. Poutine compte aller jusqu’au bout de sa guerre. Lui abandonner le Donbass et la Crimée équivaudrait à une capitulation de l’Occident et la guerre s’étendrait à d’autres régions comme la Transnistrie. «Vladimir Poutine en voudra toujours plus.»
«Qui pourra retenir son souffle le plus longtemps»?
L’Occident se trouve dans une course contre la montre. Si pour l’instant, le boycott économique et les livraisons d’armes sont les bonnes stratégies, Marco Steenbergen estime que le temps joue contre l’Europe.
Un jour ou l’autre, les Occidentaux pourraient être contraints à prendre une autre voie. «Poutine vise que la population occidentale ait un jour assez des conséquences économiques et se révolte contre la guerre.»
Dès que cela se produira, le président russe aura réussi à diviser l’Occident. Pour le politologue, il est clair à ce stade que «c’est une lutte pour savoir qui pourra retenir son souffle le plus longtemps. Et Poutine est loin d’être à bout de souffle».
(Adaptation par Jocelyn Daloz)