Depuis que la pandémie de Covid-19 accapare tous les esprits, le sort des demandeurs d’asile et des réfugiés politiques et climatiques est passé au second plan. Mais les morts en Méditerranée et aux frontières de l’Europe, elles, continuent, alors que la situation des réfugiés dans les camps en Grèce et en Espagne ne s’est guère améliorée.
«La politique d’asile de l’Union européenne est sur la voie de la ruine», affirme l’eurodéputé allemand Erik Marquardt, qui siège au Parlement européen pour les Verts. Il vient d’écrire un livre sur le sujet: «Europa schafft sich ab» («L’Europe court à sa perte», ndlr).
Monsieur Marquardt, vous observez les mouvements migratoires depuis 2015; sur les îles grecques, le long de la route des Balkans, sur la Méditerranée. Quelle évolution avez-vous constatée?
Erik Marquardt: Cela donne à réfléchir. La situation des réfugiés s’est une nouvelle fois fortement dégradée.
De quelle manière?
L’Europe a accueilli des réfugiés, mais n’a pas réussi à mettre en place des structures leur permettant d’accéder à des procédures d’asile équitables et rapides, à l’éducation et donc aussi à la société. Par conséquent, leurs moyens de survie et d'intégration ont été détruits. Nous organisons des sociétés parallèles en croyant, à tort, que les gens vont disparaître.
Comment cela est-il arrivé?
Principalement parce que l’Europe a opté pour une politique de dissuasion. Une stratégie qui vise à rendre les conditions des réfugiés aussi mauvaises que possible, par exemple, en réduisant les rations alimentaires, en faisant manquer les soins médicaux ou en restreignant les procédures d’asile. Ces mesures visent à décourager tout voyage pour chercher refuge en Europe. C’est une école de pensée qui a malheureusement prévalu dans la politique d’asile européenne.
Que faudrait-il faire à la place?
Les réfugiés devraient pouvoir avoir accès au système éducatif et à un travail le plus rapidement possible. Bien sûr, toutes les personnes n’ont pas le droit de rester en Europe, mais toutes ont le droit à une procédure régulière. La meilleure solution serait un système qui ne repose pas sur des camps de masse aux frontières, mais qui répartit équitablement les personnes en quête de protection en Europe.
Cela ne pourra se faire que si tous les États de l’UE s’accordent sur un système de répartition. Cela n’a pas été le cas jusqu’à présent.
C’est pourquoi certains États membres devraient montrer la voie et organiser l’accueil des réfugiés dans le cadre d’une coalition de volontaires avec les États frontaliers extérieurs. Actuellement, il y a environ 100’000 personnes par an qui ont besoin d’être réorientées dans différents pays. L’Europe doit gérer cela, même si la Hongrie, la Pologne et la République tchèque s'y opposent.
La politique d’asile est intimement liée à la politique intérieure. Une partie de la population européenne se félicite de la main ferme contre les étrangers…
(Silence). Les gens de droite cultivent la xénophobie et le rejet des réfugiés au lieu de s’attaquer aux problèmes. Ce faisant, ils célèbrent de grands succès de politique intérieure. Mais la solution ne réside pas seulement dans les frontières territoriales d’États comme la France, l’Allemagne ou la Suisse.
Qu’est-ce que vous voulez dire?
Nous ne voulons pas d’un monde dans lequel tout le monde doit venir en Europe pour vivre une vie décente. Nous devons nous demander comment nous allons façonner l’aide humanitaire, la coopération au développement ou la politique commerciale à l’avenir. De toute évidence, nous avons beaucoup de choses à rattraper ici. Regardez les camps de réfugiés en Libye, où ces derniers subissent de la torture et des viols. Ce n’est pas étonnant que personne ne veuille y rester.
Il est frappant de constater que le populisme de la politique européenne sur le sujet de la migration a contribué à la déshumanisation des réfugiés. Comment cela a-t-il façonné notre image des personnes en fuite?
La déshumanisation des réfugiés a conduit à rendre acceptables des décisions inhumaines pour une grande majorité de la population. Avec l'augmentation de tentatives de suicide chez les enfants ou la torture qu'inflige la police à certains réfugiés, l’Europe accepte tout simplement que les gens meurent.
Comment en sommes-nous arrivés là?
La haine d’une partie de la population européenne ne s’enracine pas seulement dans le rejet de tout ce qui est étranger. L’échec de la politique d’asile et la surtaxation (peut-être délibérée) des États ont conduit de nombreuses personnes à penser que les politiciens ne maîtrisent plus la situation.
Il est difficile d’éviter cette impression.
Oui, mais il n’y a aucune raison rationnelle pour que, dans le camp de Moria à Lesbos, qui était conçu pour 2’500 personnes, ait dû accueillir plus de 20’000 personnes qui y ont vécu entassées à certains moments. Cette surpopulation apparente fait également partie de la politique de dissuasion.
Existe-t-il encore une politique européenne commune en matière d’asile?
On critique toujours l’incapacité de l’Union européenne à se mettre d’accord sur une politique d’asile commune. Selon moi, ce désaccord arrangeait bien l'ensemble des pays. Mais cette politique n’a rien à voir avec l’État de droit, les principes de l’Europe et le respect de la dignité humaine. Ils ont simplement opté pour l’isolement et pour l'infraction de certaines lois.
Lesquelles?
Le droit à une procédure d’asile décente a été négligé. À la place, il est préférable et moins contraignant de passer des accords avec des pays tiers comme la Turquie, de payer des milliards pour faire taire les réfugiés. L’agence de protection des frontières Frontex observe les États membres de l’UE violer les droits de l’homme et prétend ensuite ne rien savoir.
De nombreuses vidéos et rapports médiatiques ont documenté les refoulements, les retours forcés. À quoi cela ressemble-t-il?
Des canots pneumatiques surchargés sont repoussés dans les eaux turques au milieu de la nuit par les garde-côtes grecs. Des fonctionnaires des pays de l’UE, masqués, frappent les bateaux avec des barres de fer et tirent des coups de semonce. On signale de plus en plus de cas de torture à la frontière entre la Croatie et la Bosnie. Les réfugiés sont forcés de se déshabiller. Leurs cheveux sont rasés, des croix sont peintes sur leur front et leurs ongles sont arrachés.
Le Parlement européen a mis en place une commission d’enquête pour investiguer sur les actions illégales de Frontex. Vous qui faites partie de cette commission, qu’avez-vous réalisé jusqu’à présent?
Nous avons publié un rapport montrant que Frontex devait être au courant des refoulements. Le directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, a menti au Parlement à plusieurs reprises et empêche activement la révision des cas, par exemple en supprimant des preuves. Si l’UE souhaite réellement une amélioration de Frontex, elle doit à tout prix nommer un nouveau directeur exécutif. Le Parlement européen devrait bloquer une nouvelle augmentation du budget de Frontex jusqu’à ce que l’agence puisse prouver qu’elle utilise les fonds de manière sérieuse et efficace.
Si je vous comprends bien, les repoussoirs sont bien documentés. Mais personne n’est tenu pour responsable?
En pratique, les refoulements sont effectués par des fonctionnaires des États membres de l’UE aux frontières extérieures. Lorsque des rapports et des recherches clairs sont publiés, la Commission exprime toujours sa préoccupation, mais déclare aussi ouvertement qu’il ne lui appartient pas de clarifier la situation. La Commission pourrait engager des procédures d’infraction contre les États concernés et contre Frontex.
Que peut faire la Suisse pour améliorer la situation des réfugiés?
La Suisse pourrait fixer un quota annuel raisonnable et accueillir directement les personnes provenant des frontières extérieures. Nous avons besoin d’un taux d’acceptation de moins d’une personne pour 1000 personnes en Europe par an. Nous n’aurions alors plus de problème en matière de politique migratoire. Malheureusement, il y a un manque cruel de volonté.