Synthèse du week-end
Les civils pris au piège à Marioupol, Kiev est en ligne de mire

La population était prise au piège dimanche dans le port assiégé de Marioupol (sud de l'Ukraine), où une deuxième tentative d'évacuation humanitaire a échoué, pendant que l'armée russe resserrait son étau sur Kiev. Un troisième round de pourparlers est prévu lundi.
Publié: 06.03.2022 à 23:35 heures
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Des piétons traversent un pont détruit alors qu'ils évacuent la ville d'Irpine (Ukraine), au nord-ouest de Kiev, le 6 mars 2022.
Photo: Daphne ROUSSEAU

Un troisième round de pourparlers entre l'Ukraine et la Russie est prévu pour lundi, selon un membre de la délégation ukrainienne, David Arakhamia, qui n'a pas donné plus de détails. Les deux sessions précédentes, à la frontière ukraino-bélarusse puis à la frontière polono-bélarusse, n'ont pas abouti à un arrêt des combats, mais les parties avaient convenu de mettre en place des «couloirs humanitaires».

Mais pour la deuxième journée consécutive dimanche, la population de Marioupol, sur la mer d'Azov, qui vit un «blocus humanitaire», selon son maire Vadim Boïtchenko, a dû renoncer à l'évacuation.

«Au milieu de scènes dévastatrices de souffrances humaines, une deuxième tentative aujourd'hui de commencer à évacuer quelque 200.000 personnes de la ville a été interrompue», a indiqué le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Celle-ci devait permettre une évacuation jusqu'à Zaporojie, à environ trois heures de route. Mais «nous n'avons pas pu emprunter le couloir humanitaire en raison des bombardements russes», a dit la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk.

Le président russe Vladimir Poutine a mis l'échec des évacuations sur le compte des «nationalistes ukrainiens» qui, selon lui, ont empêché celle programmée samedi de Marioupol et de Volnovakha, une ville proche.

«Des cadavres partout»

Une rare famille qui a pu rejoindre samedi Dnipro (centre) a raconté, sous couvert d'anonymat, être restée à l’abri dans une cave «sept jours sans chauffage, électricité, internet», manquant d'eau et de nourriture. Sur la route, a-t-elle témoigné, «il y avait des cadavres partout, des Russes et des Ukrainiens».

La chute de Marioupol serait un tournant dans l'invasion russe, lancée le 24 février. Elle permettrait la jonction entre les troupes russes en provenance de la Crimée annexée, qui ont déjà pris les ports clés de Berdiansk et de Kherson, et celles du Donbass. Ces forces consolidées pourraient ensuite remonter vers le centre et le nord de l'Ukraine.

Sur la mer Noire, c'est désormais Odessa qui préoccupe le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui accuse la Russie de «se préparer à bombarder» ce port de près d'un million d'habitants proche de la frontière moldave.

Kiev en ligne de mire

Dans le même temps, les soldats russes se rapprochent de Kiev. D'intenses combats ont eu lieu dans la périphérie de la capitale, selon l'administration régionale ukrainienne, notamment autour de la route menant vers Jytomyr (150 km à l'ouest de Kiev), ainsi qu'à Tcherniguiv (150 km au nord de la capitale), pilonnée depuis plusieurs jours par l'aviation russe.

Dans les faubourgs ouest de Kiev, à Irpine, «du matin au soir, tous les bâtiments voisins ont été touchés, un tank est entré. C'était effrayant, nous avons eu peur. Avant cela, nous ne pensions pas que nous allions partir», a témoigné Tetiana Vozniuchenko, 52 ans. A 200 km au sud-ouest de la capitale, l'aéroport de Vinnytsia a été «complètement détruit» par des frappes russes, selon M. Zelensky. En matinée, Moscou avait annoncé avoir détruit l'aérodrome militaire de Starokonstantinov, à 130 km au nord-est.

Quant à Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine située à 50 km de la frontière russe (est), elle restait la cible d'intenses bombardements qui ont touché une tour de télévision, selon le gouverneur régional Oleg Synegoubov.

Après le bombardement le 4 mars de la centrale nucléaire de Zaporojie (sud), la plus grande d'Ukraine et d'Europe, qui a fait craindre une catastrophe et fait monter d'un cran l'inquiétude des pays occidentaux, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a été informée par Kiev que la direction de la centrale était désormais sous les ordres des forces russes.

D'après les autorités ukrainiennes, seules les communications par téléphone mobile y sont encore possibles, mais de mauvaise qualité, et le chef de l'AIEA Rafael Grossi s'est dit «profondément préoccupé» par «la détérioration de la situation concernant les communications vitales entre l'autorité de régulation et la centrale».

L'exode s'intensifie, attaques sur civils

Au 11e jour de l'invasion russe de l'Ukraine, le Haut Commissaire de l'ONU aux réfugiés Filippo Grandi a estimé qu'il s'agissait de «la crise des réfugiés la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale».

«Plus de 1,5 million de réfugiés venant d'Ukraine ont traversé (la frontière) vers les pays voisins en 10 jours», a indiqué M. Grandi, qui s'attend à ce que le flot augmente encore au fil des jours à venir. Plus d'un million sont arrivés en Pologne, selon les garde-frontières.

A Irpine, des civils fuyaient en franchissant difficilement les décombres d'un pont détruit par l'armée ukrainienne. Dans les gares des villes menacées par l'armée russe, la cohue régnait. «Nous envoyons nos femmes et nos enfants à Lviv, peut-être plus loin, et nous restons ici (...) C'est une situation horrible», a confié à Dnipro Andrey Kyrytchenko, un maçon de 40 ans.

Vladimir Poutine a nié dimanche «que son armée prenne des civils pour cible», lors d'un entretien avec son homologue français Emmanuel Macron. Mais l'Organisation mondiale de la santé (OMS) «a authentifié plusieurs attaques contre des soins de santé en Ukraine, faisant plusieurs morts et des blessés», a affirmé son chef Tedros Adhanom Ghebreyesus.

«Environ huit» civils ont été tués lors d'une évacuation d'Irpine dimanche, a indiqué le maire de la ville, Oleksandr Markouchine, sur Telegram. Moscou avait évoqué mercredi la mort de 498 soldats russes et 2870 morts côté ukrainien. Kiev fait état dimanche de plus de 11'000 soldats russes tués, sans révéler ses propres pertes militaires. Des chiffres impossibles à vérifier de manière indépendante. Pour sa part, l'ONU a confirmé la mort de 351 civils et plus de 700 blessés, un bilan qui est «sans doute bien plus élevé car les vérifications sont en cours».

Efforts diplomatiques

Les consultations diplomatiques se sont poursuivies tout le week-end sans succès. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a réclamé dimanche un «cessez-le-feu général urgent» à son homologue russe. La veille, le Premier ministre israélien Naftali Bennett avait proposé sa médiation.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a plaidé pour qu'un rôle de médiateur soit joué par Pékin, qui de son côté a appelé à des négociations directes entre la Russie et l'Ukraine. Dans son échange avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a trouvé le président russe «très déterminé à atteindre ses objectifs», dont «ce qu'il appelle la 'dénazification' et la neutralisation de l'Ukraine», ainsi que la reconnaissance de l'indépendance de la Crimée et du Donbass, a indiqué la présidence française.

Le Kremlin a aussi multiplié les messages aux Occidentaux. Poutine a prévenu samedi que la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'Ukraine – demandée par Kiev mais refusée par l'Otan – serait considérée «comme une participation au conflit armé». Et le ministère de la Défense russe a mis en garde dimanche les pays voisins de l'Ukraine contre l'accueil d'avions de combat de Kiev, qui seraient ensuite utilisés contre les forces de Moscou, ce qui pourrait être considéré «comme une implication de ces pays dans un conflit armé».

De leur côté, les pays du G7 planchent sur de nouvelles sanctions contre la Russie, qui devront surtout «toucher les oligarques» qui ont «profité de Poutine», a dit dimanche le ministre allemand des Finances, Christian Lindne, dont le pays exerce actuellement la présidence du groupe des sept pays les plus industrialisés.

Effets des sanctions en Russie

En Russie, les effets des sanctions commencent à atteindre de plein fouet la classe moyenne. Les entreprises étrangères continuent massivement de quitter le pays. Dernière en date: American Express a annoncé dimanche la suspension de ses opérations en Russie, emboîtant le pas aux géants américains des cartes bancaires Visa et Mastercard. Le système de paiement PayPal y a lui aussi suspendu ses services.

Le rouble s'est effondré après l'instauration des sanctions internationales contre Moscou et certaines des plus grandes banques russes ont été coupées du système interbancaire international Swift. Les autorités russes craignent désormais l'apparition d'un marché noir alimentaire. Des chaînes de supermarché ont imposé des restrictions sur les quantités vendues à chaque individu.

Mais les voix d'opposition et les médias indépendants continuent d'être réduits au silence. Au moins 4'600 personnes manifestant contre l'intervention militaire en Ukraine ont été arrêtées dimanche dans une cinquantaine de villes de Russie, selon l'ONG OVD-Info. La BBC a indiqué que sa chaîne télévisée d'information internationale, BBC World News, avait cessé d'émettre dans ce pays après le tour de vis radical des autorités russes contre les médias. Le réseau social TikTok a aussi annoncé suspendre la possibilité de poster de nouvelles vidéos sur sa plateforme en Russie.

(AFP)

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