Entre cyberattaques et fake news, la guerre en Ukraine donne tout son sens au concept d’attaque (ou menace) hybride. Mais qu’est-ce que cela signifie? Comment cette menace hybride peut-elle évoluer et dans quelle mesure la Suisse est-elle concernée?
La Finlandaise Teija Tiilikainen est directrice du Centre européen de lutte contre les menaces hybrides (Hybrid CoE). Elle explique à Blick l’importance que prendront ces attaques à l’avenir.
Blick: Depuis l’invasion de l’Ukraine par les Russes, on entend souvent un terme jusqu’ici peu connu: attaque hybride. Qu’est-ce que cela signifie?
Teija Tiilikainen: Il s’agit d’opérations de politique internationale très diverses et qui sont initiées de manière inattendue. On peut par exemple citer les cyberattaques contre des systèmes gouvernementaux ou des centrales énergétiques, les opérations de manipulation de l’information, mais aussi l’instrumentalisation des flux migratoires, comme nous l’avons vu l’année dernière en Biélorussie, lorsque le dictateur Alexandre Loukachenko a délibérément envoyé des migrants vers l’ouest.
Quel est l’objectif de telles attaques?
Ce sont des instruments utilisés par les dirigeants pour influencer et affaiblir les États démocratiques afin d’obtenir eux-mêmes plus de pouvoir au niveau mondial et légitimer leur propre rôle autoritaire.
Dans quelle mesure cette forme d’attaque a-t-elle été ou est-elle utilisée dans la guerre en Ukraine?
Vladimir Poutine a principalement orchestré des cyberattaques contre les systèmes ukrainiens et a diffusé de fausses informations. Il a par exemple expliqué que l'«opération spéciale» en Ukraine visait à «dénazifier» le pays et à empêcher les Ukrainiens de commettre un génocide vis-à-vis des communautés russophones présentes dans l’est du pays.
Est-ce le président russe qui a inventé de telles attaques hybrides?
Les menaces hybrides existent depuis longtemps, mais leur nombre a massivement augmenté au cours des dix dernières années. D’une part parce que les États autoritaires veulent étendre leur influence, et d’autre part parce que la diffusion de fake news est devenue beaucoup plus facile et rapide avec l’avènement des médias sociaux et de la technologie moderne en général.
D’où proviennent les menaces hybrides?
La Russie l’utilise actuellement à plein régime. Mais la Chine en use également beaucoup, tout comme l’Iran et la Biélorussie. Des organisations non gouvernementales telles que des groupes extrémistes et même l’Eglise orthodoxe russe utilisent également cet instrument.
Comment les États peuvent-ils s’en protéger? Les départements de la défense doivent-ils être réorganisés?
Dans les pays nordiques, nous suivons le modèle de la sécurité globale. Il ne s’agit pas seulement d’une question de défense. Cela nécessite également de sensibiliser, protéger et rendre résiliant tous les ministères, les départements et même les entreprises vulnérables.
Comment cela doit-il se faire concrètement?
En gardant les informations importantes entre nos mains. Il faut par exemple surveiller de près le rachat par les Chinois d’infrastructures critiques dans les télécommunications, l’énergie ou la finance.
La Suisse est-elle aussi la cible d’attaques hybrides?
Oui. Ce phénomène touche malheureusement tous les pays occidentaux. Nous sommes en contact avec le gouvernement suisse. Je ne peux toutefois pas parler de cas concrets.
Comment les menaces hybrides vont-elles évoluer?
La Russie et la Chine ont tout intérêt à renforcer leurs rôles au niveau mondial. La guerre en Ukraine contribue également à ce que nous enregistrions une nette augmentation des attaques hybrides. Il suffit d’un groupe de hackers et d’un peu de connaissances technologiques, et on peut paralyser des infrastructures entières. C’est très simple et rentable.
Y aura-t-il aussi de nouveaux types d’attaques hybrides?
L’objectif des agresseurs est de surprendre l’adversaire. Une fois qu’on a découvert une stratégie, ils en inventeront une autre. Je pense notamment à l’intelligence artificielle, où les possibilités sont illimitées. Qu’en est-il par exemple de toutes les données qui sont constamment collectées sur nous à notre insu? On ne peut que spéculer sur ce qui se passerait si elles tombaient entre de mauvaises mains.
(Adaptation par Quentin Durig)