Le patrouilleur ukrainien quitte le port d'Odessa sur la mer Noire, cible régulière d'attaques russes. Debout sur la proue, un garde maritime surveille le ciel, un lance-missiles Stinger sur l'épaule.
Ce bateau fait partie de la stratégie de Kiev visant à écarter la flotte militaire russe des côtes ukrainiennes, dont les premiers résultats ont été loués comme une «grande victoire de l'Ukraine en mer Noire» par Volodymyr Zelensky. Mardi, son armée a revendiqué une nouvelle réussite dans la zone en affirmant avoir détruit un navire russe.
Malgré la supposée supériorité de la flotte de Moscou, les Ukrainiens sont parvenus à éloigner ses navires du sud-ouest de la mer Noire et à rouvrir un couloir maritime pour exporter des céréales ukrainiennes, faisant fi des menaces russes de bombardements. «Cet exploit est remarquable car l'Ukraine est pratiquement dépourvue de navires de guerre», souligne une récente tribune publiée par deux experts américains sur le site spécialisé DefenseNews.
Une maigre consolation
Il s'agit cependant du seul succès militaire majeur de Kiev cette année, car après plusieurs retraits importants des Russes en 2022, la ligne de front est restée quasiment inchangée et ces dernières semaines les troupes de Moscou ont encore renforcé la pression sur les fronts Est et Sud.
Pour le porte-parole de la Marine ukrainienne Dmytro Pletentchouk, la Russie est désormais «sur la défensive» en mer Noire contrairement «à sa présence arrogante au large de la région d'Odessa au début de son invasion» en février 2022 quand Moscou avait de facto privé Kiev d'accès à la mer. Le patrouilleur a ainsi une mission clé: sécuriser le couloir mis en place depuis août entre des ports ukrainiens de la région d'Odessa et le détroit du Bosphore, après que Moscou a claqué la porte d'un accord céréalier international.
Un enjeu stratégique essentiel
La mer Noire représente un enjeu essentiel pour les exportations de céréales ukrainiennes, le pays étant un des grands producteurs mondiaux. Elle est également un enjeu stratégique pour la Russie.
Dans la partie nord s'y trouve la Crimée, péninsule annexée par Moscou en 2014 et au coeur du dispositif militaire russe, à la fois pour approvisionner les troupes occupant le Sud ukrainien et pour mener des frappes pour toucher en profondeur l'Ukraine. De son côté, Kiev y a multiplié les attaques contre des installations militaires, notamment une frappe spectaculaire contre le siège de la flotte russe à Sébastopol, forçant Moscou à éloigner ses navires vers Novorossiïsk et Touapsé.
«L'arme qui a changé les règles du jeu c'était des systèmes de missiles anti-navire» de fabrication américaine Harpoon et ukrainienne Neptune, les deux d'une portée d'environ 300 kilomètres, assure M. Pletentchouk à l'AFP.
Selon lui, l'Ukraine s'est également dotée d'une nouvelle brigade ultra-secrète spécialisée dans l'utilisation de drones «marins et sous-marins» qui servent au «déminage, au renseignement et aux frappes» contre de cibles russes. Cet arsenal a permis aux Ukrainiens de détruire «12 bateaux russes» et d'en endommager 22 autres depuis le début de l'invasion, assure-t-il.
Inspections minutieuses des autres navires
Les services ukrainiens de sécurité (SBU) ont indiqué à l'AFP avoir développé des drones navals «uniques» capables de transporter jusqu'à «800 kilogrammes d'explosifs à 800 kilomètres dans les conditions d'une tempête modérée». Baptisés «Sea Baby», ces appareils ont notamment servi à frapper le pont reliant la Crimée à la Russie en juillet dernier et lors d'attaques pendant lesquelles dix bateaux russes ont été touchés en octobre 2022 et en 2023, a affirmé le SBU.
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Sur le patrouilleur de l'unité maritime des gardes-frontières d'Ukraine, à bord duquel une équipe de l'AFP a pu monter, l'équipage repère aux jumelles un premier cargo entré dans les eaux territoriales ukrainiennes après avoir longé les côtes de la Bulgarie et de la Roumanie. Arrivés à proximité du navire, les gardes-frontières ukrainiens se préparent à monter à bord en tenue de combat.
Leur but est de «détecter des armes, munitions, explosifs» à bord, explique à l'AFP Oleksandre Iakovenko, assistant du commandant du détachement d'Odessa de la Garde maritime.
Leur inspection terminée, les hommes descendent du cargo comme des équilibristes, par une petite échelle de corde, posée à même la coque et instable sous l'effet de la houle. Depuis les début de l'année, la garde maritime a inspecté plus de 2.200 vaisseaux, selon M. Iakovenko.
Une équipe peut en faire une quinzaine par jour, «un travail assez difficile et minutieux» qui nécessite «une bonne forme physique, de l'endurance» et qui se fait sur fond de risque permanent d'attaques russes, ajoute-t-il.
L'Ukraine a pu exporter 10 millions de tonnes de marchandises
Le danger provient des missiles, drones et mines russes, flottantes ou lancées depuis des avions dans le couloir céréalier, relève M. Pletentchouk, qui déplore la domination de l'ennemi dans les airs. Deux cargos civils ont été légèrement endommagés par des mines dans l'eau mais ont pu continuer leur route, ajoute-t-il. Si ces incidents n'ont pas fait de victimes, «le danger est présent», dit-il.
La garde maritime ukrainienne et les forces navales des forces armées ukrainiennes patrouillent sur quelque 200 kilomètres de côtes, ainsi que dans les ports de Pivdenny, Odessa et Tchornomorsk, ainsi qu'à Izmaïl et Reni sur le Danube, plus au sud.
Et malgré les menaces russes de représailles sur les navires civils circulant dans la zone et les «attaques systématiques contre les infrastructures portuaires», l'Ukraine a pu exporter «10 millions de tonnes de produits via ce corridor par 302 navires vers 24 pays» depuis août, s'est félicité mardi le ministre ukrainien des Infrastructures, Oleksandre Koubrakov.
(AFP)