Richard Werly sur la votation du 15 mai
En finir avec la dentelle bureaucratique et revenir vers l'UE avec des propositions claires

Dans son discours au parlement européen le 9 mai, le président français a défendu de profondes réformes pour l'Union européenne. Au nom de l'efficacité, en recourant davantage à la majorité qualifiée et en s'appuyant sur l'espace Schengen. Berne devrait prendre note.
Publié: 12.05.2022 à 12:52 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2022 à 00:10 heures
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Dimanche 15 mai, les citoyens suisses devront décider s'ils adoptent ou non le nouveau règlement de l’UE relatif à l’Agence européenne de protection des frontières Frontex, dont la Suisse est membre. Ici, un navire de l'agence surveille l'arrivée d'une embarcation de migrants sur l'île grecque de Lesbos.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ne dites pas à Ignazio Cassis et Livia Leu que les solutions européennes pour la Suisse sont déjà en train d’être discutées à Bruxelles, ils ne vous croiraient pas. Logique: le patron du département des Affaires étrangères et sa négociatrice en chef, de nouveau revenue bredouille de Bruxelles le 28 avril, sont embourbés dans leurs préparatifs d’un possible «plan B» acceptable par la Commission européenne et les 27 membres de l'UE, après le rejet du projet d’accord institutionnel par le Conseil fédéral en mai 2021.

Plus logique encore: le ministre et la diplomate n’ont d’yeux que pour la votation de ce dimanche 15 mai à l’issue de laquelle le peuple décidera, ou non, si la Suisse doit adopter le nouveau règlement de l’UE relatif à l’Agence européenne de protection des frontières Frontex, dont elle est membre. Avec une augmentation des moyens financiers à la clé pour cette agence basée à Varsovie, dont le directeur français, Fabrice Leggeri, a démissionné le 30 avril face aux accusations de maltraitance de migrants portées contre certains de ses agents.

Conserver l’arrimage à l’UE

Le fait est, pourtant, que des solutions existent pour que la Suisse conserve son arrimage à l’Union européenne qu’elle a, pour l’heure, renoncé à intégrer un jour. Il faut, pour s’en convaincre, lire attentivement le discours qu’Emmanuel Macron a prononcé à Strasbourg le 9 mai, jour de la Fête de l’Europe et de la commémoration de la déclaration fondatrice de Robert Schumann, le 9 mai 1950. «Nous savons que nous ne serons peut-être pas tous et toutes d’accord. Et il ne faut pas non plus craindre la différenciation, les avant-gardes, elles ont toujours été fécondes pour le projet européen», a risqué le chef de l’État français, tout juste réélu, devant le parlement européen.

Et de poursuivre: «Je sais parfois les craintes qu’il y a d’une Europe à plusieurs vitesses, elle existe déjà, mais accélérer le rythme, relever nos ambitions, créer de la convergence en son cœur, sans format prédéfini, sans jamais exclure, mais aussi sans jamais laisser les plus sceptiques ou les plus hésitants freiner, est ce qui permettra à notre Europe de s’affirmer comme puissance.» Vous avez bien lu: «Sans format prédéfini, sans jamais exclure».

Ces mots, bien sûr, concernent les actuels 27 pays membres de l’Union et ceux qui frappent à leur porte, dont l’Ukraine aujourd’hui frénétiquement décidée à obtenir une adhésion express.

Mais réfléchissons un peu: et si ces termes valaient aussi pour les États-associés dont les valeurs, le fonctionnement démocratique et le poids économique intéressent l’Union au premier chef? Posons-nous au moins la question publiquement, surtout quand Emmanuel Macron poursuit: «L’Union européenne, compte tenu de son niveau d’intégration et d’ambition, ne peut pas être à court terme le seul moyen de structurer le continent européen.»

Précipice de défiance britannique

Ignazio Cassis peut rêver en espérant trouver chez le Premier ministre britannique, Boris Johnson, des recettes miracles pour notre avenir européen, comme il l’a fait le 28 avril lors de sa visite à Londres. Sauf qu’il risque de tomber au passage dans le précipice de défiance, tissé par les mensonges des conservateurs britanniques, qui séparent désormais le chantre du Brexit de ses homologues européens.

Livia Leu peut espérer que la votation du 15 mai, si elle est favorable à l’augmentation des capacités de Frontex, lui donnera un argument supplémentaire pour montrer que la Suisse demeure une bonne élève de l’espace Schengen. Mais cela, au fond, ne changera rien. C’est d’avenir que le Conseil fédéral doit oser parler, non pas dans la dentelle juridico-bureaucratique d’un «plan B» abscons, mais en revenant vers Bruxelles avec des propositions politiques claires sur trois points.

Quelles compétences désirons-nous partager avec nos partenaires de l’UE (Frontex sera sur ce point un indicateur)? Quelles dérogations au droit communautaire (oui, dérogations, osons le mot!) exigeons-nous pour aller de l’avant? Et quelles garanties pouvons-nous offrir à Bruxelles de notre sincérité politique (ce qui suppose de prendre des positions publiques en Suisse, et de les défendre)?

La guerre en Ukraine bouleverse tout

L’Union européenne a compris que la guerre en Ukraine est en train de bouleverser ses équilibres. L’abandon de la règle de l’unanimité n’est bien sûr pas acquis, mais il ouvre des pistes. La révision envisagée des traités n’est pas certaine, mais elle permettra des déblocages. Alors: qu’attendons-nous? Le Conseil fédéral pense-t-il encore que la diplomatie britannique va nous offrir sur un plateau des solutions miracles, assorties de vagues promesses de coopération économiques?

L’Ambassadeur européen à Berne, Petros Mavromichalis, a parfaitement raison lorsqu’il assène dans la «NZZ» du 9 mai: «La force du marché unique est que tous les États participants respectent les mêmes règles. Cela doit aussi s’appliquer à la Suisse, dans les domaines où la Confédération participe au marché intérieur. Nous ne pouvons pas traiter différemment un pays tiers, qui participe au marché commun. Je ne comprends pas pourquoi cela n’est pas compris en Suisse.»

Les juristes ont beaucoup parlé et écrit. Les diplomates ont beaucoup travaillé. Les politiques ont beaucoup renoncé. L’impasse actuelle entre la Confédération et l’UE est le résultat de ce labyrinthe. Seules des propositions lisibles par tous permettront d’en sortir. Le destin européen de la Suisse, inscrit dans son histoire, dans ses gènes et dans sa géographie, ne s’arrêtera pas avec la votation Frontex. Quel qu’en soit le résultat!

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