Lundi 28 février: Survivre
La nuit passée dans le garage, ici à Kiev, était glaciale. Zéro degrés. Je porte des sous-vêtements de ski, tout le monde tousse. Mais je suis en vie. Je ne sais pas si ce sera encore le cas demain. Un convoi militaire russe de 64 kilomètres se dirige vers notre ville. Depuis l'invasion, les jours de la semaine s'estompent. On ne parle plus de lundi ou de mardi. Aujourd'hui, c'est simplement le cinquième jour – le cinquième jour depuis le début de l'attaque. J'ai dormi malgré le froid. Je m'étonne de la rapidité avec laquelle l'homme peut s'habituer à tout, même à la guerre. Le premier jour, j'ai paniqué quand les sirènes se sont mises à sonner. Aujourd'hui, je reste calme. De toute façon, je ne peux rien faire de plus que me cacher dans le garage. Ce matin, j'ai même pu passer dans mon appartement. La guerre a très rapidement changé notre conception du bonheur... Les petites choses, celles qui paraissaient si banales – si immuables – il y a une semaine encore sont désormais sources de grandes joie pour moi. Comme le simple fait de prendre une douche et de manger un bortsch* fraîchement préparé. Mais j'ai peur de la nuit. Nous nous attendons à de violents bombardements. C'est toujours au petit matin, vers cinq heures, que c'est le pire.
Mardi 1er mars: En attendant la bataille
Sixième jour. Le jour le plus dur jusqu'à présent. Aujourd'hui, c'est le début du premier mois de printemps, mais dehors, il a commencé à neiger. En ville, seuls quelques magasins sont encore ouverts et de longues files d'attente se forment devant les boutiques. Les gens font des provisions d'urgence. Ils s'arment pour la bataille de Kiev. J'essaie de me distraire, avec de la musique, ou en lisant. Ça ne marche pas. Dehors, les troupes de Poutine tirent sur la tour de télévision. Il est difficile de décrire le chaos émotionnel qui m'habite. C'est un mélange de peur, d'épuisement et d'espoir de survie. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de mon grand-père. Il est mort il y a huit ans. Je n'ai pas pu me rendre sur sa tombe. Elle se trouve à Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, où la guerre fait rage depuis 2014. Je suis au téléphone avec mes parents. Ils me manquent tellement. Ils vivent à 500 kilomètres de là, à Dnipro.
Mercredi 2 mars: La fuite
Peu après mon réveil aujourd'hui, j'ai réalisé à quel point j'étais psychologiquement à bout. À midi, je suis allée à la gare avec un sac à dos. Je voulais aller chez mes parents. Mais tous les trains pour Dnipro ont été annulés. Par hasard, j'ai rencontré un ami à la gare. Je le connais via un triathlon. Lui aussi voulait rejoindre ses parents, mais le village où ils vivent est désormais occupé par les Russes. Alors que nous passions devant le quai huit, il y avait un train pour Lviv, une ville située à l'ouest de l'Ukraine, près de la frontière polonaise - nous sommes tout simplement montés à bord. C'est fou... Me voilà soudain à Lviv, loin de chez moi. A peine arrivés, la nouvelle s'est répandue qu'une roquette était tombée à quelques mètres de la gare de Kiev. Il y a eu des dégâts et des blessés. Je suis content de ne plus être à Kiev. Nous sommes plus en sécurité ici.
Jeudi 3 mars: L'effondrement
Première nuit sans sirènes. Comme le silence peut être agréable. Nous avons pu louer un petit appartement à Lviv. La ville est pleine de gens venus des quatre coins de l'Ukraine. Beaucoup veulent continuer vers la Pologne ou l'Europe de l'Ouest. Aujourd'hui, l'ONU a annoncé qu'un million de réfugiés se dirigeait vers la Pologne. Un million! Quelle folie! Maintenant que le stress s'estompe, pour la première fois depuis des jours, je me sens complètement à bout. Un véritable effondrement. Je reste allongé, les yeux rivés sur le mur.
Vendredi 4 mars: Nouvelle normalité
Pour la première fois depuis le début de la guerre, j'ai essayé de mener une vie normale aujourd'hui. Mais je crois que la vie normale ne reviendra jamais. Je suis traumatisée. Cette nuit-là, je sursaute au moindre bruit, j'écoute, pétrifiée... Est-ce juste le bruit de la ville ou est-ce que ce sont des coups de feu? Si quelqu'un claque la porte, je sursaute. Les bombes sont dans ma tête. C'est absurde, mais aujourd'hui, j'ai pris des cours de flûte en ligne. Comme je le faisais chaque semaine avant la guerre. En fuyant Kiev, j'ai oublié d'emporter une brosse à dents. Mais j'ai emporté ma flûte. C'est ma mère qui me l'a conseillé. Heureusement, je l'ai écoutée. Ma flûte est une flûte magique! En jouant, j'ai pu pour la première fois me déconnecter un instant de l'insoutenable réalité. Respirer à fond. Ma professeure donne désormais le cours gratuitement en ligne, en signe de solidarité.
Samedi 5 mars: L'espoir
Dixième jour. Dix jours de guerre, de destruction, de souffrance. Chaque seconde est douloureuse. J'ai l'impression d'avoir vieilli de dix ans, pendant ces dix jours. Mais j'ai de l'espoir: personne ne s'attendait à une telle résistance de mon peuple. J'ai confiance en nos soldats. Et je crois en la victoire. Grâce à cette guerre, nous serons plus serviables, plus généreux et plus indépendants que jamais. Je rêve du jour où je rentrerai chez moi. Nous reconstruirons notre pays. Lorsque je suis retournée brièvement dans mon appartement de Kiev, entre les tirs de roquettes il y a quelques jours, deux choses m'ont rappelé l'époque d'avant la guerre: des tulipes jaunes et une robe que j'avais préparée pour une première au théâtre. La première aurait eu lieu le jour où les premières roquettes se sont abattues sur Kiev. J'ai pris des photos de la robe et des tulipes. Je porterai les mêmes couleurs le jour de la victoire. Et j'irai déposer des tulipes aux pieds des monuments qui seront érigés en souvenir des victimes de cette guerre.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)
(*Soupe slave dont notamment l'Ukraine et la Russie se disputent la parenté, ndlr.)