Le bilan des manifestations étudiantes au Bangladesh a atteint 105 morts vendredi soir, selon un comptage réalisé par l'AFP à partir de données fournies par les hôpitaux. Au total, 24 morts supplémentaires ont été signalés dans trois hôpitaux de la capitale, Dacca, et six autres à Rangpur, une ville du nord de ce pays, s'ajoutant au précédent bilan de 75 personnes tuées.
Ce bilan témoigne de la violence inédite des troubles qui secouent ce pays musulman de 170 millions d'habitants sur fond de chômage massif des diplômés.
Le haut-commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme Volker Türk a condamné la répression vendredi critiquant des attaques «particulièrement choquantes et inacceptables» contre les manifestants étudiants. «Les manifestations sont énormes et c'est peut-être le défi le plus sérieux» jamais affronté par la première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 2009, a déclaré à l'AFP Pierre Prakash, directeur du Crisis Group Asie basé à Bangkok.
Les autorités ont réagi en interdisant vendredi «tous les rassemblements, les processions et les réunions publiques à Dacca», la capitale, après avoir coupé jeudi l'internet et fait fermer les écoles et universités en début de semaine. La police a également annoncé l'arrestation de l'un des principaux opposants, Ruhul Kabir Rizvi Ahmed, l'un des responsables du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). «Il est confronté à des centaines d'affaires», a simplement déclaré à l'AFP Faruk Hossain, le porte-parole de la police de Dacca.
Centaines de détenus libérés
Malgré cela, la contestation se poursuit à travers le pays. Dans le district de Narsingdi (centre), des manifestants ont pris d'assaut une prison. «Les détenus ont fui la prison et les manifestants ont mis le feu», a déclaré à l'AFP un officier de police s'exprimant sous couvert de l'anonymat et évaluant à «des centaines» le nombre de détenus libérés. Moushumi Sarker, un haut responsable local, a confirmé l'intrusion dans la prison, sans autre détail.
Des affrontements ont aussi éclaté lorsque les étudiants sont de nouveau descendus dans la rue avant des contre-manifestations progouvernementales prévues après les prières de midi. Selon des témoins, la police a tiré des grenades lacrymogènes en plusieurs lieux de Dacca.
La veille, des bâtiments officiels ont été «incendiés et vandalisés», selon la police, dont le siège de la télévision publique Bangladesh Television (BTV) où plus de 700 personnes ont été blessées, dont 104 policiers et 30 journalistes, selon la chaîne privée Independent Television.
La police a confirmé une centaine de policiers blessés et une cinquantaine de postes de police incendiés, et vendredi, BTV n'avait pas repris ses émissions.
«A bas le dictateur!»
Les manifestations quasi quotidiennes lancées début juillet visent à obtenir la fin des quotas d'embauche dans la fonction publique qui réservent plus de la moitié des postes à des groupes spécifiques, notamment aux enfants des vétérans de la guerre de libération du pays contre le Pakistan en 1971 et qui favorisent les proches du pouvoir. Elles ont dégénéré en heurts violents depuis lundi.
La crise sociale s'est muée en crise politique pour la première ministre, huée dans les rues de la capitale Dacca, une mégalopole de 20 millions d'habitants, aux cris de «A bas le dictateur!». «Au lieu de répondre aux doléances des manifestants, le gouvernement a fait empirer la situation», estime M. Prakash pour qui «le pays semble en danger».
Le Bangladesh abrite une industrie textile florissante fournissant les plus grandes marques mondiales de prêt-à-porter.
La situation aujourd'hui, «c'est l'éruption du mécontentement latent des jeunes accumulé au fil des ans, en raison de la privation de leurs droits économiques et politiques», a commenté Ali Riaz, professeur de politique à l'université de l'Illinois. «Les quotas d'emploi sont devenus le symbole d'un système qui est truqué», ajoute-t-il.
Sheikh Hasina a jeté de l'huile sur le feu la semaine dernière en comparant les manifestants à des «collabos» du Pakistan, dans une référence insultante à la période de la guerre de libération en 1971, estime M. Riaz. «Se moquer d'eux était une atteinte à leur dignité. C'était aussi un message disant combien les manifestants ne comptent pas pour ce régime qui s'estime au-dessus des lois», ajoute-t-il.
Sheikh Hasina est accusée avec son parti, la Ligue Awami, de vouloir museler toute opposition depuis qu'elle est revenue au pouvoir en 2009. Il lui est reproché d'avoir injustement fait emprisonner son principal rival, limité la liberté de la presse et chercher à éradiquer toute dissidence notamment par l'assassinat extrajudiciaire de militants de l'opposition, selon ses détracteurs et des défenseurs des droits.