Mes Aynak, le «Pompéi afghan», pourrait disparaître
Exploitation du cuivre: une cité bouddhiste millénaire menacée

À 40 kilomètres au sud-est de Kaboul se cache Mes Aynak, un site archéologique unique. Cette grande cité bouddhiste millénaire risque de disparaître à jamais, engloutie dans l'exploitation par un consortium chinois d'un des plus grands gisements de cuivre au monde.
Publié: 22.06.2022 à 14:28 heures
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Dernière mise à jour: 22.06.2022 à 15:43 heures
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Un taliban marche le 17 mai 2022 près de l'ancienne cité bouddhiste millénaire de Mes Aynak, dans l'est de l'Afghanistan
Photo: WAKIL KOHSAR

Oubliée pendant des siècles avant d'être découverte par hasard par un géologue français au début des années 1960, Mes Aynak, dans la province du Logar, a été comparée à Pompéi ou au Machu Picchu pour son ampleur et son importance historique.

Les ruines du site, qui s'étend sur 1000 hectares, sont perchées en altitude, sur un sommet massif dont les flancs bruns trahissent la présence de cuivre, et sur d'autres crêtes alentour.

En 2007, le géant minier chinois Metallurgical Group Corporation, à la tête d'un consortium public qui a ensuite pris le nom MJAM, a signé un contrat de 3 milliards de dollars pour en exploiter le minerai, sur 30 ans.

La crainte de voir disparaître un lieu considéré comme autrefois l'un des carrefours commerciaux les plus prospères sur la route de la Soie a suscité une mobilisation internationale. MJAM a dû autoriser des fouilles et retarder l'ouverture de la mine.

Quinze ans plus tard, celle-ci n'existe toujours pas. L'insécurité et des désaccords entre Pékin et Kaboul sur les termes financiers du contrat ont provoqué de nouveaux délais.

Mais avec la fin de la guerre et le retour au pouvoir en août des talibans, contraints de trouver de nouvelles sources de financement pour compenser le gel de l'aide internationale, le projet est redevenu prioritaire pour les deux parties.

Un site archéologique unique en son genre

Malgré les pillages du début du siècle, Mes Aynak «est l’un des plus beaux sites bouddhistes» et «l'un des plus beaux sites archéologiques» au monde, témoigne pour l'AFP Bastien Varoutsikos, archéologue pour la société française Iconem qui travaille depuis plusieurs années à numériser le lieu et son patrimoine.

Située à la confluence des cultures hellénistique et indienne, Mes Aynak était une vaste cité organisée autour de l'extraction et du commerce du cuivre, une activité dans laquelle les moines bouddhistes auraient été impliqués.

Les objets découverts datent essentiellement du IIe au IXe siècle après JC, mais une occupation antérieure est aussi possible. De la poterie remontant à l'âge du Bronze, bien avant la naissance du Bouddhisme, a aussi été retrouvée sur place.

Les archéologues ont dégagé des monastères bouddhistes, des stupas, des forteresses, des édifices administratifs et des habitations. Des centaines de statues, des fresques, des céramiques, des pièces de monnaie et des manuscrits ont aussi été mis au jour.

Au début des années 2010, il s'agissait «d'un des plus gros projets archéologiques au monde», souligne M. Varoutsikos. MJAM avait donné trois ans aux archéologues, qui se sont concentrés sur la zone directement menacée par la mine, quand plusieurs décennies auraient été nécessaires pour fouiller complètement le site.

Finalement, le délai imparti s'est étiré, la situation sécuritaire empêchant les Chinois de construire les infrastructures envisagées. Des milliers d'objets ont été dénichés. Certains ont été emmenés au musée de Kaboul, d'autres sont conservés à proximité.

«Devoir» de préservation, selon les talibans

Sous leur précédent régime, les talibans avaient choqué le monde entier en dynamitant les Bouddhas géants de Bamiyan en mars 2001. Mais aujourd'hui, ils se disent déterminés à préserver les découvertes de Mes Aynak, resté intact depuis août.

«C'est le devoir du ministère de l'Information et de la Culture de les protéger», déclare à l'AFP Esmatullah Burhan, le porte-parole du ministère des Mines et du Pétrole.

Mais, même si le discours paraît sincère, beaucoup des vestiges sont simplement trop encombrants ou fragiles pour être déplacés et semblent voués à la disparition. Les archéologues, qui n'ont pas eu le temps de tout excaver, ne sauront peut-être jamais si le sol n'aurait pas recelé d'autres trésors.

«Il y a des choses qui ne sont pas vraiment bougeables», certaines «qui peuvent continuer à être déplacées» et d'autres «qui peuvent être encore fouillées», observe M. Varoutsikos, reconnaissant que «la stratégie n'est pas encore très claire».

Une source de financement cruciale pour le pays

Les Chinois privilégient une exploitation à ciel ouvert, plutôt que souterraine, de la mine. La montagne de cuivre serait ainsi éventrée et tous les fragments du passé ensevelis.

Si ce choix est confirmé, la seule solution sera alors «de continuer la fouille aussi longtemps et de manière aussi exhaustive que possible» et «de bouger tout ce qui peut être bougé» avant le début de l'exploitation, souligne M. Varoutsikos. Mais cela dépendra de la «collaboration internationale» et du «financement», relève-t-il.

L'Afghanistan est assis sur d'immenses ressources minérales (cuivre, fer, bauxite, lithium, terres rares...), estimées à plus de 1000 milliards de dollars. Les talibans, qui espèrent tirer annuellement plus de 300 millions de dollars de Mes Aynak (quand le budget de l'État est de 500 millions pour 2022), veulent accélérer le processus.

«Ce projet doit commencer, il ne doit plus être retardé», ont-ils répété ces dernières semaines à MJAM, selon M. Burhan. Les «discussions sont finies à environ 80%», indique le porte-parole, seuls des «points techniques» restant à régler, ce qui devrait être fait prochainement.

Bras de fer entre Pékin et Kaboul

Les talibans exigent que le contrat, qui prévoyait notamment la construction d'une centrale électrique alimentant la mine et Kaboul, et d'une voie ferrée vers le Pakistan, soit respecté. Ils insistent aussi pour que le cuivre soit transformé localement et que la main d'oeuvre employée soit afghane.

La Chine, dont l'économie a un gros besoin de cuivre, renâcle à satisfaire ces demandes. MJAM, qui n'a pas souhaité répondre à l'AFP, continue aussi à réclamer une baisse des royalties dues.

Le projet se double d'inquiétudes sur ses conséquences environnementales. L'extraction du cuivre est polluante et nécessite de grandes quantités d'eau, or le Logar est une région déjà très aride.

À en croire M. Burhan, les talibans prêtent «une attention stricte» à ces questions et veilleront à ce que le consortium remplissent ses obligations en la matière. L'Afghanistan est en passe de sacrifier une partie de son histoire. Mais l'enjeu économique est tel que le destin de Mes Aynak semble depuis longtemps scellé.

(AFP)

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