Dans la rue du Grand-Pont, à Sion, ce matin-là, le soleil de mars s’engouffre sans trop de ménagement. Sur les étals du marché de la capitale valaisanne, les légumes monochromes de l’hiver laissent peu à peu place aux couleurs de la belle saison. Les carottes font du pied aux asperges qui, elles, longilignes, filiformes, laissent rougir rhubarbe et radis. Aucun doute: le printemps tente de s’imposer dans les allées. Il nous enivre volontiers de sa floraison, de son éclosion. Seuls les doigts gourds des commerçantes et commerçants nous rappellent que la cause n’est pas encore tout à fait acquise.
Une population précarisée
Mais la cause de Maya Pellissier n’est pas le retour de la saison printanière. Sur les pavés du marché sédunois, qui ralentissent éminemment l’ardeur avec laquelle elle fait avancer son fauteuil roulant, l’assistante sociale de formation tient à défendre la mission qu’elle s’est donnée au début du mois: acheminer vers la frontière ukrainienne du matériel adapté aux personnes en situation de handicap. «J’ai besoin de tout, vous savez, lance la jeune femme, avec ressort, à une badaude qui passe devant elle. Si vous avez des couches-culottes pour adultes, des sondes urinaires, des vêtements chauds, c’est bienvenu.»
À 40 kilomètres de là, on retrouve dans la commune de Lavey-Morcles (VD) celui qui, soudainement, a décidé de s’associer au projet singulier de Maya Pellissier, tant celui-ci résonnait pour lui, qui est également en fauteuil roulant. Aider les personnes en situation de handicap, durant une catastrophe, pour Pierre Margot-Cattin, professeur associé à la Haute École de Travail Social (HETS) du Valais romand, ce n’est pas juste une bonne action éphémère: «C’est assez inquiétant de se dire que, dans la plupart des pays ou des cantons, oui, il existe des procédures de sauvetage et d’évacuation, mais aucune ne traite du handicap. Et c’est le cas aujourd’hui en Ukraine. Cette population, d’ordinaire précarisée, le sera d’autant plus durant un événement dramatique.»
Un binôme et deux bus
Ainsi, la fatigue sur les visages, le binôme valdo valaisan raconte à quel point il a fallu faire vite. Tout faire. En trois coups de cuiller à pot. D’abord, peu friande de bureaucratie malgré sa formation, Maya Pellissier, celle qui se définit avant tout comme une «femme de terrain», délègue le scribouillage associatif à son ancien directeur de mémoire, Pierre. Une nuit de travail plus tard, dans la lumière de l’aube, l’association Les roues de l’espoir est née. Pendant ce temps, pas question de chômer. En deux semaines, l’ancienne tenniswoman handisport réunira une dizaine de fauteuils roulants, un peu plus de 50 cannes anglaises, des articles de soins à n’en plus finir et moult vêtements chauds. Faute de place, ils ont même dû se résoudre à refuser du matériel.
S’estimant «privilégiés», Maya Pellissier et Pierre Margot-Cattin veulent porter ce projet «jusqu’au bout». Alors, ni une ni deux, le 31 mars dernier, les deux amis grimpent dans deux véhicules pléthoriques, réquisitionnent deux auxiliaires de vie et partent, aux frontières de l’Europe et de l’Ukraine, en Pologne. Au retour, il y a quelques jours, l’émotion est palpable, le sourire en toile de fond. «Nous avons dû d’abord repousser notre départ, prévu mi-mars, car nous avions des problèmes de communication avec l’association polonaise chargée de redistribuer notre collecte, explique Maya, émue. Mais nous avons réussi! Les véhicules étaient pleins à craquer, tout s’est très bien passé et nous sommes fiers de cette action!»
Mais des souvenirs terribles, aussi, resteront gravés dans les hippocampes, reconnaissent les humanitaires. Comme les images de cette nuit, froide et humide, passée dans des camps de réfugiés, à Berlin, durant une première escale. Des instants harassants pour Maya et son auxiliaire, Vincent. «Aujourd’hui encore, nous faisons beaucoup de cauchemars», postait la Martignerane il y a quelques heures à peine, sur ses réseaux.
Sensibiliser la population aux manquements
Et maintenant? Qu’adviendra-t-il des «roues de l’espoir»? Le projet perdurera. Peut-être. Si l’engouement subsiste. Avec une certaine bonhomie, Pierre Margot-Cattin est optimiste, mais réaliste: «Nous avons eu très peu de donations financières. La majorité a dû partir à d’autres organismes, comme la Chaîne du Bonheur. Et l’antenne suisse de Handicap International, qui partage les mêmes objectifs que nous, n’a pas souhaité collaborer. Maintenant, notre rôle sera de sensibiliser les autorités publiques et les personnes en situation de handicap aux manquements et à la précarité à laquelle elles devront faire face en cas de catastrophes, y compris dans la région. L'accessibilité des abris antiatomiques, la poursuite des soins spécifiques… Il y a du travail!»
De son côté, bonnet jaune et bleu vissé sur la tête, Maya Pellissier est encore grisée par cette aventure humaine qu’elle a amorcée par hasard, au début de la guerre, durant une nuit où elle ne trouvait pas le sommeil. Elle explique avoir un certain besoin «d’atterrir», de se ressourcer. Et, franchement, l’on ne peut que l'excuser d'avoir la tête ailleurs et déjà d’autres projets sur le feu: «Une fois que je suis revenue de Pologne, mon compagnon m'a fait la surprise de me demander en mariage. J'ai tout de suite dit oui. Nous voilà fiancés!»