«Absurde». Voilà le terme choisi par la militante suédoise Greta Thunberg et l'ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore pour décrire la 29e conférence climatique de l'ONU. Tenu jusqu'au 22 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, le sommet a déjà bouclé sa première semaine, faite de négociations difficiles et de quelques tensions parmi les délégations des Etats présents.
Pour rappel, la COP29 a pour principale ambition de fixer de nouveaux objectifs financiers destinés à lutter contre la crise climatique, à favoriser l'abandon progressif des énergies fossiles et à soutenir les pays les plus défavorisés, frappés de plein fouet par les catastrophes naturelles.
Sur la même thématique:
D'après la RTS, une atmosphère «tendue» règne dans les salles de négociation, tandis que les alliés de Donald Trump tentent soigneusement d'éviter le sujet de l'Accord de Paris sur le climat, dont le président élu a promis de se retirer une seconde fois. Bref, le timing est difficile pour cet immense sommet mondial.
Plusieurs points ont déjà fait couler une bonne quantité d'encre, depuis le début de la COP29, le 11 novembre. Cette édition très critiquée, snobée par plusieurs chefs d'États, a-t-elle tout de même une chance de faire avancer la lutte pour le climat?
Encore une COP dans un état pétrolier
Si la crédibilité de la grande conférence climatique semble vaciller, c'est entre autres parce qu'elle est hébergée, une fois de plus, au cœur d'un état pétrolier. Et la première à fustiger ce choix n'est autre que Greta Thunberg, laquelle a décidé de boycotter l'événement. Lors d'une manifestation organisée en Géorgie et relayée par le «Washington Post», la militante de 21 ans a justement décrété qu'il était «plus qu'absurde» que l'événement ait lieu en Azerbaïdjan, un «état autoritaire et pétrolier».
Même son de cloche pour Al Gore: «Je pense que tout le fonctionnement des COP devrait être réformé, a-t-il souligné lors d'une interview accordée à Euronews. Il est absurde que, par exemple, les dirigeants de certaines entreprises pétrolières les plus sales de la planète servent de présidents des COP. C'est un conflit d'intérêt direct. Et bien que l'actuel directeur de la COP29 ne soit pas à la tête d'une industrie pétrolière, il est tout à fait aligné sur la dépendance des énergies fossiles de son pays.»
Un point qui déplait également à certaines ONG: «La COP29 se déroule dans un pays dont le bilan en matière de droits humains est effrayant, rapporte Nadia Boehlen, porte-parole d'Amnesty International Suisse. L'absence de voix indépendantes, en raison de la répression étatique, sape la crédibilité du sommet.»
L'absence remarquée de certains leaders
Joe Biden, Olaf Scholz, Ursula von der Leyen ou encore Emmanuel Macron brilleront par leur absence, cette année. Début novembre, Washington déclarait en effet que le président américain ne participerait pas au sommet, pour la seconde fois consécutive. En ce qui concerne le président français, «Le Point» souligne que l'absence d'Emmanuel Macron rappelle les relations tendues entre la France et l'Azerbaïdjan, depuis l'attaque de septembre 2023 contre les soldats arméniens du Haut-Karabakh.
«L'absence de chefs d'Etat et de gouvernements importants envoie un signal inquiétant, poursuit la porte-parole d'Amnesty. Elle pourrait indiquer que la protection du climat n'a pas la priorité politique dont elle a urgemment besoin face à l'escalade de la crise.»
Pour Oriane Sarrasin, maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, également députée au Grand Conseil vaudois, ces absences pourraient faire diminuer le sentiment d’efficacité collective chez les personnes sensibles au climat: «Ce type d’absences pourrait galvaniser un discours de délai de type 'Alors même si les ‘grands’ ne font rien, ce n’est certainement pas nous qui allons changer le monde'.»
La présence de lobbyistes des énergies fossiles
Amnesty estime en outre que l'absence de plusieurs chefs d'Etats est d'autant plus grave en présence de lobbyistes de l'industrie des combustibles fossiles, qui pourraient tenter d'influencer les discussions en leur faveur: «La crédibilité de la COP sera mise à mal si l'industrie des combustibles fossiles continue d'y exercer une influence dominante et si les Etats ne sont pas prêts à prendre des engagements ambitieux, ajoute Nadia Boehlen. Le message d'absence peut donc aussi symboliser une forme d'inaction, un silence qui laisse à l'abandon de nombreuses communautés parmi les plus pauvres et les plus touchées.»
Al Gore, toujours auprès d'Euronews, abonde dans le même sens: «Pourquoi les représentants des plus grands pollueurs mondiaux devraient-ils avoir plus de délégués que la plus grande délégation nationale, plus de délégués que les dix pays les plus touchés au monde?», a martelé l'ancien vice-président américain.
Des progrès insuffisants et trop lents
De l'extérieur, on peut avoir l'impression qu'à chaque pas dans la bonne direction, la route est immédiatement barrée par des blocages diplomatiques. Le mercredi 13 novembre, la RTS précisait notamment qu'une «ébauche» de document dédié à la finance climatique avait été publié, contenant, entre autres, une requête de 1300 milliards de dollars d'aide annuelle pour les pays en développement. Or, les Etats ne parviennent toujours pas à s'accorder sur ce point.
«Les COP ont au moins le mérite de représenter une fenêtre d'opportunité permettant d'aborder la question du climat de manière proéminente, observe Sonia Seneviratne, climatologue et professeure à l'ETHZ. Par contre, le progrès des objectifs de réductions d'émissions de gaz à effet de serre ont été insuffisantes jusqu'ici et les COP n'ont pas réussi à prendre les décisions qui permettront au monde de limiter le réchauffement à 1,5 degré, ainsi que l'exige l'Accord de Paris. Pour cette raison, elles sont confrontées à une crise de légitimité.»
Pour la spécialiste, la solution ne serait pas d'annuler les COP, mais d'insister davantage sur le respect de certains engagements, devenus urgents: «Nous ne pouvons nier que l'impact de la crise climatique devient de plus en plus difficile à gérer, comme le prouvent les inondations subies par l'Espagne il y a quelques semaines», pointe-t-elle.
Sur la même thématique:
La COP reste bénéfique en termes de sensibilisation
Face à cette «crise de légitimité», la COP29 peut-elle au moins contribuer à mettre en lumière la crise climatique? Pour Amnesty International Suisse, la réponse est oui: «Ces événements sont essentiels pour attirer l'attention mondiale sur la crise climatique, pointe Nadia Boehlen, porte-parole. Ils créent une plateforme permettant à la communauté internationale de mesurer les progrès réalisés en matière de protection du climat et de fixer de nouveaux objectifs. En même temps, ils mettent en évidence l'urgence du problème.»
Du côté de l'opinion publique, tout dépend de notre perspective personnelle: «Si l’on pense qu'elle va contribuer à ralentir le changement climatique, la COP peut rendre optimiste, constate Oriane Sarrasin. Mais si l'on attribue une efficacité basse à un tel événement, elle peut vraisemblablement renforcer des ressentis 'négatifs', en particulier un sentiment d’impuissance. Ce dernier risque de diminuer la confiance dans les institutions et pousser à chercher d'autres manières de lutter pour le climat, telles que des actions collectives. Ou alors, cela peut provoquer une forme de désengagement, nous poussant à minimiser l'importance de la crise climatique pour se protéger de ces ressentis négatifs.»
Dans le cas de la COP29, rien n'est encore joué, puisqu'il reste une semaine de négociations et que le sommet du G20 démarrera le 18 novembre, à Rio de Janeiro. «Des mesures concrètes seront-elles décidées pour corriger les trajectoires actuelles de réchauffement de plus de 2,6 degrés? interroge Amnesty. C'est cela qui déterminera si la COP29 entrera dans l'histoire comme un tournant ou comme une occasion manquée.»