Des experts et des responsables de pays arabes auront mis en garde depuis Davos (GR) la Suisse sur le projet d'interdiction du Hamas en le considérant comme organisation terroriste. La situation actuelle pourrait provoquer des effets négatifs pour elle, selon eux. «Le massacre du 7 octobre est un crime inhumain. Et l'occupation israélienne viole le droit international. Il n'y a pas de discussion», a affirmé à Keystone-ATS le directeur exécutif du Middle East Institute Switzerland (MEIS), Victor Willi. «Une fois que c'est dit, il faut évaluer quelles seraient les conséquences à long terme d'une interdiction du Hamas et ne pas réagir sous le coup de l'émotion», dit-il.
«Or, il n'y a pas beaucoup d'arguments en faveur» d'une telle décision, ajoute aussi celui qui a lancé en 2021 ce centre d'analyse et de recherche sur le Proche-Orient. Certes, Berne «enverrait un signal à ses partenaires européens» en s'alignant sur Israël, notamment en pleines négociations avec Bruxelles, dit cet expert qui dialogue avec l'administration fédérale et des parlementaires de cette question. Une interdiction pourrait aussi pousser le Hamas à revenir à la table des discussions. Le groupe islamiste pourrait également être contraint de renoncer à ses membres les plus radicaux et à éviter de perpétrer de nouveaux massacres, selon le MEIS.
Pousser à interdire d'autres groupes
En revanche, les désavantages d'une telle décision seraient nombreux. D'abord, il faudrait clarifier «ce que signifie» ce changement avant de le valider, dit Victor Willi qui doute de la faisabilité de ce dispositif. «C'est certainement plus facile avec Al-Qaïda qu'avec un groupe qui a des centaines de milliers de membres».
Et il faudrait probablement limiter la mesure à la branche armée du Hamas. Ensuite, ce dispositif pourrait pousser certains à demander des interdictions d'autres groupes comme le Hezbollah. Il pourrait affecter les capacités du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et d'autres ONG à oeuvrer au Proche-Orient, ajoute Victor Willi. De même, de riches magnats arabes pourraient être tentés de retirer leurs avoirs des banques suisses.
«Le pire moment pour choisir son camp»
Autre problème, le rôle suisse de bons offices pourrait être diminué, selon le chercheur. Et de mentionner parmi les autres conséquences possibles une menace sécuritaire en Suisse, qui deviendrait plus exposée à des attentats et où les manifestations pourraient redoubler.
Souvent dans une situation comparable à la Suisse, la Norvège a été très active dans la région. «Ceux qui veulent faire de la médiation suivent habituellement les décisions du Conseil de sécurité de l'ONU», fait remarquer le chef de la diplomatie norvégienne Espen Barth Eide. «Parfois, nous nous dissocions des sanctions européennes et parfois, nous les reprenons» si c'est justifié, ajoute-t-il. «Pour nous, cela fonctionne», dit-il, sans vouloir se prononcer sur la situation suisse.
A Davos, le souhait affiché par le Conseil fédéral n'est pas toujours compris par les représentants de la région interrogés par Keystone-ATS, y compris parmi les plus modérés. Notamment les Emirats arabes unis qui ont normalisé leurs relations avec Israël.
«C'est le pire moment pour la Suisse pour choisir un camp», affirme un conseiller du ministre du commerce Thani ben Ahmed al-Zeyoudi. Dans le monde fragmenté actuel, «il faut protéger la marque» d'une Suisse capable d'œuvrer comme intermédiaire, selon lui. Et d'ajouter que le Qatar reste influent dans la région parce qu'il continue à parler à tous les acteurs. Un discours qui tranche avec celui du Conseil fédéral qui estime lui que la neutralité ne signifie pas être indifférent lorsqu'un massacre comme celui du 7 octobre dernier est perpétré.
Une question trop sensible
Mercredi, M. al-Zeyoudi avait lui-même vanté ce rôle suisse dans une discussion au WEF. «Nous voulons être la Suisse de la région», avait-il affirmé. Parmi les autres responsables politiques de la région, la question semble parfois embarrassante. Malgré plusieurs tentatives, le Premier ministre libanais Najib Mikati, sur conseil de son entourage, n'a pas souhaité s'exprimer. Ces derniers jours, les affrontements entre Israël et le Hezbollah au Liban se sont multipliés.
«Cette question est trop sensible», dit l'un des conseillers du Premier ministre. «On me dit déjà que je parle trop», glisse de son côté M. Mikati. Son homologue irakien n'a pas répondu non plus directement à la question après avoir rencontré la présidente de la Confédération Viola Amherd. Mohammad al-Soudani se contente d'appeler à «mettre un terme au génocide à Gaza».
Les autorités israéliennes avaient immédiatement salué en octobre la volonté du Conseil fédéral. Mais des familles d'otages demandaient à Berne d'attendre pour que la Suisse conserve une possibilité pour aider à faire libérer leurs proches. Les Palestiniens avaient eux déploré cette initiative suisse. A Davos, une autre proche d'otage a elle demandé seulement à la Suisse de tenter des approches pour aider ces personnes retenues.
Le Conseil fédéral et les deux Chambres se sont déclarés favorables une interdiction. Un projet de loi doit être présenté d'ici fin février au Parlement.
(ATS)