Le modèle UDC
Marine Le Pen, meilleure élève de Christoph Blocher

Le vote, ce lundi 11 juillet, de la censure contre le gouvernement français déposée par l'Union de la gauche sera un premier test parlementaire pour Marine Le Pen. Son parti restera-t-il protestataire? Ou va-t-il, comme l'UDC Suisse, devenir un parti de gouvernement?
Publié: 11.07.2022 à 08:20 heures
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Dernière mise à jour: 12.07.2022 à 18:40 heures
L'ex candidate du Rassemblement national à la présidentielle française préside désormais l'un des premiers groupes politiques de l'Assemblée nationale, avec 89 députés.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le jour parlementaire le plus long pour Marine Le Pen est arrivé. Ce lundi 11 juillet, l'ex-candidate du Rassemblement national à la présidentielle française affrontera, à la tête du groupe de 89 députés qu'elle préside, sa première motion de censure du quinquennat.

La surprise politique ne sera pas au rendez-vous. La droite nationale-populiste a déjà annoncé qu'elle ne mélerait pas ses voix à celle de la NUPES, la Nouvelle union populaire écologique et sociale conduite par Jean-Luc Mélenchon, résolue pour sa part à jouer la confrontation maximale avec l'actuel gouvernement, privé de majorité absolue par les électeurs le 19 juin dernier. Après la normalisation présidentielle, la normalisation parlementaire: le RN a tout à perdre s'il donne d'emblée, du grain à moudre à ceux qui, comme Emmanuel Macron, refusent de le considérer comme un «parti de gouvernement».

Anathèmes xénophobes

L'affaire parait donc entendue. Coté gauche radicale, une force mélenchoniste qui va tout faire pour donner de la voix et faire dérailler les débats dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, misant sur la rue et les médias autant que sur son poids dans l'hémicycle. Coté extrême-droite, une force avant tout désireuse de faire oublier ses anathèmes xénophobes, son hostilité longtemps viscérale à la République, son allergie historique à la démocratie et sa volonté de tout faire pour extirper la France de l'Union européenne, sans aller toutefois jusqu'au Frexit. Avec, au milieu, un marais de députés que le gouvernement français a déjà chiffré. Socialistes, écologistes, indépendants: ils sont 164 sur 577 à pouvoir être, le cas échéant, débauchés par l'exécutif (qui dispose des 245 sièges du camp présidentiel) pour atteindre l'indispensable majorité législative.

Tirer son épingle du jeu

Et Marine Le Pen? Peut-elle, dans cet imbroglio, tirer son épingle du jeu et s'affirmer, au delà de la présidence de son groupe parlementaire, comme une alternative crédible, voire une partenaire possible pour ses voisins de droite dans les travées? La réponse est peut-être à trouver du coté de la Suisse où l'UDC de Christoph Blocher a su, mieux que quiconque en Europe, jouer avec succés sur les deux tableaux: celui de la contestation populiste (indispensable à la réussite électorale de son mouvement) et celui de la légitimité politique (obligatoire pour participer à la gestion des affaires du pays).

Que retenir de l'expérience Blocher, vu de France où la Suisse, avec sa démocratie directe et sa décentralisation maximale, s'apparente plus à un OVNI politique qu'à un voisin digne d'être regardé de près? Au moins quatre leçons qui, appliquées par le Rassemblement national, pourrait contribuer un peu à dédiaboliser le camp national-populiste hexagonal. Les avoir en tête, à la veille de cette législature, est indispensable.

Choisir ses cibles

Leçon 1: choisir ses cibles. Pour Blocher et l'UDC, les deux cibles les plus payantes politiquement sont, de longue date, l'immigration de masse et l'Union européenne. Deux cibles qui ont aussi fait le miel électoral de Marine Le Pen, mais dont celles-ci a appris à se méfier, car toute remise en cause de l'euro revient à menacer l'épargne des français. Le pouvoir d'achat et la défense des classes populaires semble plus appropriés. Le RN enfilera ainsi, sans le dire, les habits neufs du vieux parti communiste français. Première étape.

Leçon 2: ne jamais délaisser le terrain et les symboles. La force de l'UDC Suisse, parti de gouvernement depuis trois décennies, est d'être toujours resté au contact étroit des électeurs, s'affirmant à chaque fois qu'il le peut comme le représentant du pays réel face aux élites irréalistes. Là réside l'enjeu principal pour le RN dont les nouveaux députés sont pour la plupart hors-sol, peu ancrés sur leurs territoires. Plus elles resteront cloitrées dans l'enceinte de l'Assemblée, plus les troupes de «Marine» se retrouveront assimilées à la nomenklatura dont elles dénoncent le fonctionnement. le système helvétique de parlement de milice, avec ses allers-retours permanents entre la vraie vie et la coupole du palais Fédéral, est de ce point de vue parfait pour l'UDC. Résister, en France, à l'attraction parisienne sera un enjeu déterminant pour la droite nationale-populiste.

Rassurer les milieux d'affaires

Leçon 3: rassurer les milieux d'affaires. La Suisse n'est pas la France. Les Français se méfient du libéralisme, des entreprises et des profits. Soit. Sauf que Marine Le Pen, 53 ans, et le Rassemblement national ne pourront jamais briser définitivement le plafond de verre du pouvoir s'ils n'apprivoisent pas d'urgence économistes, entrepreneurs et banquiers. Qui, pour mener ces manoeuvres d'approche? Et comment parvenir à convaincre l'électorat conservateur traditionnel sans adopter, sur les questions budgétaires, une forme d'orthodoxie? L'avantage est que le RN, grâce aux financements publics liés à sa présence parlementaire massive, n'est désormais plus une formation paria du coté des banques. Le milliardaire Christoph Blocher, 81 ans, a sans doute, dans sa besace zurichoise, des recettes pour convaincre les milieux d'affaires.

Leçon 4: faire peur à la tribune de l'Assemblée. Le rapport de force est l'art suprême de l'UDC. Christoph Blocher, conseiller fédéral, l'a payé cash, au point de liguer contre lui les autres forces politiques. Reste une évidence : l'extrême-droite ne prospère jamais sans chef. Marine le Pen ne gagnera rien à devenir une oratrice comme les autres à l'Assemblée nationale Française. Il lui faut imprimer sa marque, générer de la fierté politique, savoir discipliner ses troupes. Tel est, au fond, le plus compliqué des défis: se banaliser sans jamais apparaître comme une parlementaire comme les autres. La patronne du RN, après avoir dompté les électeurs, doit plus ou moins dompter le parlement en prenant les français à témoin.

Regarder du coté de la Suisse

L'affaire est entendue. Marine le Pen a intérêt à regarder ces prochains mois du coté de la Suisse. Et ceux qui la combattent feraient mieux, de ce coté-ci de la frontière, de se renseigner sur les forces et les faiblesses de l'UDC. Bien sûr, Donald Trump est un modèle plus médiatique. Mais pour ce qui est de la réussite politique, Christoph Blocher est sans doute un exemple plus facile à suivre.

A quand, la «masterclass» blochérienne pour les députés RN à l'Assemblée nationale française?

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