Des enfants se chamaillent dans la piscine pour débutants, des adolescents descendent en riant sur un toboggan, des sportifs font des longueurs de crawl dans le bassin de 50 mètres. Construite en 1993, la piscine couverte du quartier d’Itäkeskus, à Helsinki, semble être une installation sportive tout ce qu’il y a de plus normal. Et pourtant. En cas de menace de guerre, l’eau peut être pompée hors des bassins et l’air chaud et humide serait refroidi. 3900 personnes pourraient s’y réfugier pour rester à l’abri des retombées nucléaires et des gaz toxiques en cas d’attaque sur la capitale finlandaise.
Les Finlandais sont, comme les Suisses, des champions dans la construction de bunkers. La Seconde Guerre mondiale – au cours de laquelle le pays a dû se battre à deux reprises contre les Soviétiques et céder à l’ennemi une partie du territoire national à l’est du pays – leur a servi de leçon. «Nous avons un voisin puissant et imprévisible, comme le montre la guerre en Ukraine», souligne Jari Markkanen, officier de planification à la protection civile municipale d’Helsinki. Le 4 avril dernier, la Finlande a rejoint l’OTAN, pour le malheur de Vladimir Poutine.
La Finlande a introduit la première loi sur la protection civile en 1939. Aujourd’hui, tous les propriétaires de bâtiments publics – comme les centres commerciaux, les hôtels et les écoles – ainsi que les maîtres d’ouvrage de bâtiments privés d’une superficie supérieure à 1200 mètres carrés sont tenus de construire des abris antiaériens. Rien qu’à Helsinki, 900’000 places sont disponibles pour les 650’000 habitants et les visiteurs. Pas moins de 180’000 d’entre elles se trouvent dans les 60 grands bunkers publics. L’alerte est donnée via une application ou par des sirènes testées chaque premier lundi du mois. Dans les 72 heures, chaque installation doit être prête à accueillir des civils.
Des jeux souterrains
Après la visite de la piscine couverte, Jari Markkanen mène Blick à l’intérieur du bunker nommé Merihaka, dans le quartier de Hakaniemi. À 25 mètres sous terre, des écoliers pratiquent un jeu proche du unihockey. Dans une autre pièce, des bambins s’amusent sur une aire de jeux, sous l’œil attentif par leurs parents qui sirotent une tasse dans un café. L’abri antiaérien de 230 mètres de long, qui comprend également un parking, a été construit en 2003.
Outre l’humidité, la plus grande difficulté est la gestion des déchets en cas de crise, explique le fonctionnaire. «Une personne produit environ un demi-kilo d’excréments par jour. Pour 6000 personnes qui trouveraient refuge ici, cela fait environ 3 tonnes. Tous ces déchets devraient être mis dans des sacs si l’eau courante venait à manquer et que nous devions utiliser les toilettes sèches.»
Dans le quartier de Maunula, Jari Markkanen ouvre les portes des installations sportives souterraines dans lesquelles des clubs de volley-ball, d’arts martiaux et de tir se sont installés. Pour l’instant, le silence règne. En raison de l’humidité qui s’infiltre, le sol doit être assaini. Dans cette structure, il y aurait de la place pour 4000 personnes. Le bunker de Kontula, qui sert de skatepark pour les jeunes, peut accueillir jusqu’à 9000 personnes en quête de protection. «Ici, nous avons les portes de protection les plus épaisses de tout Helsinki», explique Jari Markkanen, non sans fierté.
À même la roche
Jari Markkanen n’a jamais entendu parler du tunnel autoroutier du Sonnenberg à Lucerne, qui aurait été verrouillé en cas d’urgence par des portes de 350 tonnes chacune et aurait offert une protection à 20’000 personnes. Cette installation de protection, autrefois la plus grande de Suisse, a été fermée et démantelée en 2006 après l’échec d’un exercice. L’officier de planification écoute avec intérêt, puis rétorque: «Dans le centre d’Helsinki, nous pouvons verrouiller chacune des six stations de métro et les utiliser comme installations de protection.»
Les Finlandais construisent, en forant, de nombreux abris directement dans la roche vieille de 1,8 milliard d’années sur laquelle repose Helsinki. Les accès aux bunkers sont tortueux afin d’atténuer l’onde de choc d’une éventuelle bombe atomique. Pour la même raison, il n’y a pas de crépi lisse. «La structure naturelle et rugueuse de la roche contribue à absorber les ondes», explique Jari Markkanen.
Les animaux ne sont pas les bienvenus
Pour accéder à la plupart des abris, il faut traverser deux portes. Les portails extérieurs réduisent les ondes de choc, les portes intérieures arrêtent les gaz toxiques. Les installations peuvent être mises en surpression afin d’empêcher l’air extérieur, éventuellement contaminé, de pénétrer. «Dans l’abri Merihaka, les personnes pourraient survivre environ six heures sans apport d’air. Ensuite, la teneur en oxygène commencerait à diminuer.» C’est pourquoi il y a des systèmes de ventilation dans les abris. Des moteurs diesel peuvent prendre le relais en cas de panne de courant. Ils sont montés sur des ressorts afin de résister aux secousses.
Les bunkers équipés sont conçus pour une utilisation allant jusqu’à quatorze jours. Il y a des lits pour un tiers des personnes qui s’y réfugient. «Ainsi, nous pouvons faire un tournus pour que chacun puisse dormir huit heures», explique Jari Markkanen. Nourriture et médicaments doivent être amenés par les personnes elles-mêmes. L’alcool, les drogues et les appareils produisant de la chaleur, comme des réchauds à gaz, sont interdits. Les animaux doivent également rester dehors, ou alors trouver refuge dans un bunker privé.
Une expérience familière
Pour Jari Markkanen, le fait que certains bunkers soient utilisés comme installations sportives est une bonne idée. «Ainsi, ils ne sont pas encombrés et sont nettoyés quotidiennement», explique-t-il. De plus, cela facilite grandement l’utilisation en cas de danger imminent: «Comme les installations font aujourd’hui partie du quotidien pour beaucoup et sont liées à des expériences positives, la peur de franchir leur seuil en cas d’urgence serait moindre.»
Depuis que les troupes russes ont envahi l’Ukraine, la conscience de l’importance d’un dispositif de protection civile s’est accrue, explique le fonctionnaire finlandais: «Je travaille dans ce domaine depuis plus de 20 ans. Pendant longtemps, notre service n’était pas considéré comme très important.» Désormais, cela a changé: «Nous avons compris que l’ennemi est bien réel.»