La neutralité a un prix. Et celui-ci doit, selon Kiev, se traduire par une assistance financière immédiate pour permettre à l’Etat ukrainien de tenir et de subvenir aux besoins de la population. Cette équation n’a pas été évoquée d’emblée ce lundi, en ouverture de la conférence sur la reconstruction de Lugano, par le président de la Confédération, Ignazio Cassis. Mais elle est dans les têtes de tous les partenaires européens de l’Autriche et de la Suisse, deux des derniers pays neutres du continent européen (avec Malte et l’Irlande).
Neutralité et générosité
Le président autrichien, Alexander Van der Bellen, l’a reconnu le 20 juin, en réponse à une intervention en visioconférence de Volodymyr Zelensky lors d’une conférence à Vienne: «Nous avons le devoir de soutenir d’autant plus l’Ukraine que nous ne lui livrons pas d’armes.» Le chef de l’État ukrainien ne s’est toujours pas, jusque-là, adressé au parlement autrichien en raison de l’opposition du FPÖ, le parti de droite dure, pour qui une telle allocution contredirait la neutralité perpétuelle adoptée en 1955.
Ce prix de la neutralité est aussi dans la tête des dirigeants européens qui comptent bien sur la Suisse, hôte de cette «Ukraine Recovery Conference», pour faire preuve de générosité. Selon les informations recueillies par Blick dans l’entourage de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, la Task force formée par l’Union européenne pour la mise en œuvre des six paquets de sanctions (adoptés par la Suisse) et pour le chiffrage des besoins financiers de l’Ukraine envisage de demander à Berne «un geste substantiel».
Mettre la main au portefeuille
Difficile, en effet, d’accepter que deux pays parmi les plus riches de l’UE, qui bénéficieront des initiatives communautaires en matière d’infrastructures énergétiques, ne mettent pas la main au portefeuille alors qu’ils ne dépensent rien sur le plan militaire. A titre de comparaison, la France affiche 1,7 milliard d’euros d’aide à l’Ukraine depuis le début du conflit, dont une bonne partie sous la forme de livraisons d’armes. L’Allemagne a débloqué, à la mi-avril, plus d’un milliard d’euros d’aide militaire. Le Portugal, dont le produit intérieur brut est trois fois inférieur à celui de la Suisse (230 milliards d’euros contre 700 milliards), a sorti une enveloppe de 250 millions d’euros. Pour l’heure, l’aide helvétique, pour l’essentiel humanitaire, avoisine les 100 millions de francs.
«116'000 habitations ont été réduites en ruines, 24'000 kilomètres de routes sont détruits, nous sommes déjà autour d’une première estimation de la reconstruction évaluée à 1100 milliards d’euros, confirme à Blick un porte-parole de la Banque européenne d’investissement (BEI) basée à Luxembourg, dont le président allemand, Werner Hoyer, plaide pour des subventions nationales, en plus des prêts de la Banque mondiale qui a déjà mobilisé 4 milliards de dollars. Les Etats-Unis, de leur côté, ont annoncé une aide massive de 40 milliards de dollars. La Suisse fait par ailleurs partie des 21 membres du club de Paris, qui gère les restructurations de dettes souveraines des Etats en difficulté; ce qui est actuellement le cas de l’Ukraine.
Garantie pour des prêts internationaux
Une hypothèse de travail est que la Suisse et l’Autriche, en misant sur leur neutralité pour attirer des investisseurs internationaux, pourraient garantir des prêts faits à l’Ukraine. La Confédération contribuerait ainsi à rendre plus attrayantes les levées de fonds qui seront indispensables pour la reconstruction de l’Ukraine. «La reconstruction devrait impliquer la mise en place d’un fonds fiduciaire, avec des pays donateurs dont les subventions serviraient de levier aux financements des banques multilatérales et des institutions financières internationales pour reconstruire le pays aussi rapidement que possible», a confirmé au quotidien français «Les Echos» le vice-président de la BEI, Ricardo Mourinho.
Alors que s’ouvrait la conférence de Lugano, l’ancienne ministre des Affaires étrangères autrichienne Ursula Plassnik participait ce lundi 4 juillet à une conférence de l’Institut Français des relations internationales (IFRI) sur les Balkans et l’Europe orientale. Elle a admis que «la neutralité» impose des devoirs à son pays comme à la Suisse, et qu’elle «ne doit pas être un obstacle à la solidarité». Pas de missiles ni de bombes ou d’armement en provenance de Vienne ou de Berne. Mais pour ce qui concerne les chèques, les deux capitales sont attendues de pied ferme par leurs partenaires.