Avec l'engouement pour la musique techno sur les réseaux sociaux, ce milieu, qui cultivait jusque-là un certain entre-soi, fait face à une nouvelle population aux comportements parfois contraires aux «valeurs» de bienveillance promues par les organisateurs de soirées.
«Ces valeurs étaient déjà présentes dans les années 1990-2000: c'était un milieu où était recherchée une forme de respect du corps des autres», largement en opposition «avec la discothèque traditionnelle» et sa «drague lourde», explique Anne Petiau, sociologue autrice d'une thèse sur la techno, ce sous-genre de la musique électronique créé en 1980.
«Un bout de viande»
Mais les choses évoluent. «Dans certaines soirées techno à Paris, j'ai l'impression d'être un bout de viande», déplore Alani, 19 ans, qui ne souhaite pas donner son patronyme comme la plupart des autres fans de techno rencontrés par l'AFP. L'étudiante décrit «frottements» et regards masculins «insistants», à l'opposé «du respect» prôné dans le milieu.
Bousculades, monopolisation de l'espace de danse, consommation excessive de drogue: autant de comportements qui nuisent à la fête. «Avec le confinement, il y a toute une partie de jeunes qui n'ont pas fait la fête étant mineurs et qui n'ont pas appris à se comporter correctement», explique Safiatou Mendy, co-coordinatrice chez Consentis, association qui lutte contre les agressions sexuelles dans les clubs techno.
Des pompes sur la piste
Elle épingle aussi les comportements de certains «go muscu» (adeptes affichés de musculation) aux «pratiques très virilistes», faisant «des pompes au milieu de la piste, alors que ce n'est pas franchement la culture techno».
«C'est à l'opposé de ce que je recherche dans une soirée», tranche Hugo Chiquet, Lillois de 25 ans. S'il se retrouve souvent torse nu en soirée à cause de la chaleur, il dit se sentir «mal à l'aise» quand on lui demande de faire des photos en mettant en avant ses muscles ou quand des mains se font baladeuses sur ses bras ou ses abdos.
«Les 'go muscu', ça fait des années qu'ils sont en soirée techno en Allemagne, aux Pays-Bas. Ce n'est pas eux le problème, mais plus largement tous ceux qui ont des mauvais comportements», explique Tommy Vaudecrane, président de Technopol, association qui promeut les musiques électroniques. Pour lui, rejeter d'office les «go muscu» reviendrait à perdre le «côté inclusif de la techno».
Popularité en hausse
Cette arrivée de novices en soirée techno peut être rattachée à la popularité fulgurante du style musical sur les réseaux sociaux depuis la sortie du confinement. «Sur les playlists, les écoutes n'arrêtent pas d'augmenter» explique Laetitia Berry, chargée de la stratégie éditoriale chez Deezer.
Pour elle, la programmation d'artistes techno dans des festivals grand public, comme le DJ Trym l'an dernier au Solidays, est la preuve de cet engouement. «Cette popularité permet de mieux rémunérer les artistes et de faire des choses plus ambitieuses», se réjouit Tommy Vaudecrane. Mais «plus le nombre de personnes est grand, plus on a de chances de retrouver des gens mal intentionnés».
Certains, comme Seb*, 28 ans, privilégie ainsi les événements plus intimistes avec des artistes parfois moins connus, pour «être sûr(s) de passer une bonne soirée».
Ecarter les indésirables
Des initiatives récentes ont aussi pour effet indirect d'écarter certains indésirables, en simple recherche de «fame» sur les réseaux sociaux. Parmi elles, l'interdiction de filmer. C'est le cas au Mia Mao, tout nouveau club électro parisien. «Le but est de reconnecter les gens avec la musique et de proposer de se détacher des smartphones», explique Éric Labbé, chargé des relations presse du Mia Mao.
Dans cette cathédrale de béton de 3000 mètres carrés, où danse un public vêtu de latex ou de cuir, Younes danse avec ses amis, tout sourire. Ici, se félicite le jeune homme queer, «les gens sont beaucoup plus concentrés sur la musique», une «ambiance qu'on devrait avoir dans tous les événements 'tech'».
Pour Lana* plus habituée des soirées commerciales afro et shatta (sous-genre du dancehall), il est inimaginable de s'habiller comme elle le souhaite dans ces événements. À cause des «mains baladeuses», dit la jeune fêtarde de 27 ans. «Ici je me sens plus en sécurité, entourée de gens bienveillants, je peux m'habiller» de façon délurée, «personne ne va me regarder ni me toucher».
*Prénom d'emprunt