La «complosphère» s'agite
Pourquoi la canicule est aussi une bataille de cartes

Des cartes montrant des situations caniculaires d'il y a des années pullulent sur les réseaux sociaux. Ces «fake news» proviennent de milieux sceptiques quant au réchauffement climatique qui étaient souvent déjà hostiles aux mesures contre le Covid. Explications.
Publié: 20.07.2022 à 15:42 heures
Des montages de la sorte pullulent sur les réseaux sociaux.
Photo: DR
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Il fait chaud. Très chaud. À moins de vous être terré dans une cave ces derniers jours, vous êtes au courant. Et encore, pas sûr que cela suffise: à Lausanne, le thermomètre affichait encore plus de 30 degrés à minuit, dans la nuit de mardi à mercredi. Du jamais-vu, d'après Meteonews, même durant la fameuse canicule de 2003.

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Il fait très chaud... Mais est-ce vraiment surprenant, en plein été? Après tout, n'a-t-il pas toujours fait chaud en juillet? À partir de quand la chaleur devient-elle anormale même en été? C'est là toute la controverse qui anime les réseaux sociaux depuis le début de ces grandes chaleurs qui transforment l'Europe en four.

Ce conflit autour de la définition de la canicule et de l'intensité des vagues de chaleur s'articule autour d'un élément: la carte. Avec les valeurs atteintes durant ce mois caniculaire, les visualisation des températures prévues ou mesurées ont autant de succès sur les réseaux sociaux que les climatiseurs et ventilateurs dans les magasins. Et cet été pourrait s'appeler «Cinquante nuances de rouge», voire de violet pour certaines zones. Anxiété garantie.

Ces cartes sont à la canicule ce qu'ont été les graphiques de cas durant les pics d'intensité du Covid. Pourquoi ce parallèle, qui semble tiré par les cheveux? En réalité, il n'est pas anodin du tout: comme les coronasceptiques, des «caniculosceptiques» font beaucoup entendre leur voix sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter.

Leur argument? Il a toujours fait chaud en été, et ces cartes ne sont qu'une hystérie savamment alimentée par les météorologues et les médias, complices. Le but: faire paniquer les gens. Une théorie très en vogue accuse les météorologues d'avoir changé les codes couleur pour alimenter l'hystérie collective.

Une fausse carte très virale

Alors ces «caniculosceptiques» ont décidé d'agir... en s'appropriant cet outil. À un journaliste qui s'inquiétait de voir des températures «prévues pour 2050» se réaliser cet été, l'ancien gardien de but de Saint-Étienne Jérémie Janot rétorque: «Il fait chaud en juillet comme depuis toujours»... carte à l'appui. L'ex-footballeur, très véhément pendant la pandémie de Covid, propage sans le savoir une fake news.

Car la carte censée afficher les températures de 2002 remonte en réalité à... 2019. La chaîne TF1 elle-même a dû faire un démenti, ce visuel étant devenu très viral sur les réseaux sociaux. Et il ne s'agit pas du tout d'un mois de juillet normal, puisque de nombreux records de température avaient été battus ce jour-là en 2019.

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Une question est néanmoins légitime: pourquoi les cartes deviennent-elles de plus en plus rouges vif ou violettes? Il ne s'agit pas d'un complot mais d'une simple question de colorimétrie, explique Guillaume Woznica, météorologue sur LCI. «La gamme des couleurs est établie en fonction des écarts par rapport aux normes saisonnières. S'il y a de nouvelles teintes qui apparaissent, c'est parce que les niveaux d'écarts à la normes sont tels qu'il n'y a plus assez de nuances de rouge», détaille-t-il au «Nouvel Obs».

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Un détour sur le fil Twitter de Jérémie Janot montre que l'ex-gardien de Saint-Étienne, désormais entraîneur-adjoint responsable des portiers du Valenciennes FC, alterne les postures critiques vis-à-vis du réchauffement climatique et celles sceptiques sur la pandémie de Covid-19. Là encore, il est loin d'être un cas isolé — et c'est explicable par la science: de nombreuses études sur les théories du complot ont découvert des corrélations positives élevées.

La «mentalité conspirationniste»

En clair: plus quelqu'un croit à une théorie du complot, plus cette personne aura tendance à croire à une autre théorie du complot, résume Pascal Wagner-Egger dans un de ses ouvrages faisant référence dans la branche. Le chercheur à l'Université de Fribourg est le spécialiste de Blick pour tout ce qui a trait aux comportements complotistes. Dans la branche, cette propension à chercher une autre vérité quel que soit le sujet s'appelle «la mentalité conspirationniste».

Or, aussi véhéments que soient ces rassuristes (ou «anti-canicule» pour certains), les faits scientifiques prouvent bien que cette vague de chaleur en Europe s'inscrit dans une tendance inquiétante. Selon un article de «Nature» qui vient de sortir, l'Europe s'est réchauffée «trois à quatre fois plus vite» qu'ailleurs au cours des 42 dernières années. Il y a même «une augmentation particulièrement forte» depuis le fameux été 2003, qui avait provoqué 70'000 morts supplémentaires sur le Vieux-Continent.

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Et tandis que les «caniculosceptiques» rappellent que des épisodes de fortes chaleurs ayant provoqué des milliers de morts en Europe ont déjà eu lieu durant les étés 1911 et 1976, les spécialistes soulignent que c'est la fréquence de ces séquences extrêmes qui inquiète. L'automne dernier, «Science» rappelait que les enfants nés en 2020 subiront sept fois plus de vagues de chaleur, deux fois plus de sécheresses et incendies de forêts et trois fois plus d’inondations et de mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960.


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