L'invasion russe en Ukraine, un bras de fer sans précédent entre la Chine et Taïwan... La situation géopolitique tendue serait en partie due à un manque de leadership des Etats-Unis. C'est ce qu'affirme l'homme d'Etat américain Henry Kissinger. Des propos qui font des vagues.
Dans un entretien avec le «Wall Street Journal», l'ancien secrétaire d'Etat américain critique la politique étrangère de Washington en des termes très clairs. Selon lui, Washington rejette la diplomatie traditionnelle, n'a plus de grand chef d'Etat, et la politique étrangère américaine manque dangereusement d'objectifs stratégiques. Selon Henry Kissinger, cela a poussé le monde au bord du gouffre, comme le montre la guerre en Ukraine et le conflit à Taïwan.
Henry Kissinger énumère une série de dirigeants après la Seconde Guerre mondiale qui ont allié «le pragmatisme clairvoyant de l'homme d'Etat et l'audace visionnaire du prophète». Et qui ont «contribué à façonner le monde»: Konrad Adenauer, Charles De Gaulle, Richard Nixon, Anwar Sadat, Lee Kuan-Yew et Margaret Thatcher... Lorsqu'on lui demande s'il connaît un tel dirigeant contemporain, la réponse d'Henry Kissinger est claire: «Non.»
Un dangereux déséquilibre
Dans l'entretien avec le journal américain, l'ancien homme d'Etat évoque un «dangereux déséquilibre» dans la situation mondiale. «Nous sommes au bord de la guerre avec la Russie et la Chine, affirme-t-il. Nous avons provoqué des problèmes sans avoir la moindre idée de la manière dont cela va se terminer ou où cela va nous mener.»
Henry Kissinger cite les exemples de l'Ukraine et de l'OTAN. L'Ukraine est un ensemble de territoires qui appartenaient autrefois à la Russie. La stabilité serait mieux servie si l'Ukraine faisait office de tampon entre la Russie et l'Occident. «J'étais en faveur de l'indépendance totale de l'Ukraine, mais je pensais que le meilleur rôle serait de faire un peu comme la Finlande, une sorte de solution intermédiaire», déclare-t-il encore au «Wall Street Journal».
Henry Kissinger avait déjà provoqué des remous avant le début de la guerre en laissant entendre qu'une politique imprudente des Etats-Unis et de l'OTAN pourrait avoir déclenché le conflit en Ukraine.
Critiqué par Zelensky
Les dés sont à présent jetés: «Je suis désormais d'avis que l'Ukraine, officiellement ou non, doit être traitée comme un membre de l'OTAN.» Comment la guerre va-t-elle se terminer? Henry Kissinger prévoit un accord dans lequel la Russie conserverait ses conquêtes de 2014 en Crimée et certaines parties de la région du Donbass.
Cet été, Henry Kissinger a également été vivement critiqué par le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour sa proposition selon laquelle Kiev devrait accepter un retour au «statu quo ante», c'est-à-dire à la situation antérieure. Kiev devrait renoncer à ses revendications territoriales en Crimée, accorder l'autonomie à Donetsk et Lougansk - et viser un accord de paix avec la Russie afin d'éviter la Troisième Guerre mondiale.
Dans ce contexte, Washington aurait un rôle de leader à jouer, selon Henry Kissinger. Mais les dirigeants n'assument pas cette tâche.
Ne pas accélérer les tensions
Sous la présidence de Richard Nixon, Henry Kissinger avait orchestré les efforts diplomatiques américains en direction de la Chine dans les années 1970. Ceux-ci visaient à détacher Pékin de Moscou et à faire pencher la balance du pouvoir dans le monde en faveur de l'Est communiste.
Selon Henry Kissinger, les Etats-Unis ne sont plus en mesure de se ranger du côté de la Russie ou de la Chine contre l'autre partie. «Les Etats-Unis ne peuvent plus qu'essayer de ne pas accélérer les tensions et de créer des options. Mais pour cela, il faut avoir un objectif.»
(Adaptation par Lliana Doudot)