La France a été condamnée jeudi par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour le traitement judiciaire de plaintes pour viols, dénoncés par trois adolescentes. Pour Me Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes, cet arrêt «déterminant» doit conduire à «modifier les pratiques».
AFP: Quelle est la portée de cet arrêt de la CEDH?
Me Isabelle Steyer: «Il est déterminant parce qu'il remet le raisonnement à l'endroit: la fragilité, la vulnérabilité et toute la problématique psychologique et psychiatrique de l'enfant sont analysées comme des éléments qui caractérisent une victime fragile et non pas comme des éléments détournés à son détriment et au profit de l'agresseur. C'est déterminant parce que ça vient démontrer comment et combien la France maltraite les victimes.
En France, il n'y a aucune procédure spécifique pour des mineures victimes de viols ou d'agressions sexuelles. On a des victimes de moins de 15 ans qui sont traitées comme des femmes majeures, tant au niveau du recueil de la parole qu'au niveau de l'interprétation de leur comportement. La pédopsychiatrie et ce que l'on sait maintenant des victimes mineures n'est absolument pas intégré au raisonnement des juridictions françaises.
C'est la première fois que la France est condamnée pour victimisation secondaire. Que recouvre cette notion?
C'est l'utilisation de règles de procédure et de stéréotypes contre la victime, ce qui va l'amener à être une deuxième fois victime. Le policier va lui demander pourquoi elle vient à cette heure-ci, pourquoi elle a attendu deux heures avant de venir le voir, pourquoi elle est habillée en minijupe: tout ce qui la renvoie à la culpabilité d'avoir été victime et qui va l'amener soit à se rétracter, soit à faire des tentatives de suicide, soit à se scarifier... Je le constate énormément, chez les mineures particulièrement, qui sont massivement victimes de victimisation secondaire.
Quelles peuvent être les conséquences de cet arrêt?
Il va falloir modifier les procédures à l'égard des mineurs. Toutes les femmes majeures viennent nous dire – on les entend particulièrement depuis MeToo –, qu'il est difficile d'aller déposer des plaintes, d'ouvrir la porte d'un commissariat, d'être auditionnée par quelqu'un qui n'est pas spécialisé, d'être confrontée. Toutes les étapes judiciaires sont vécues finalement comme des actes qui font effraction à la psyché et même au corps. Et on traite encore les victimes mineures de la même façon que les victimes majeures.
Et là, la Cour européenne vient nous dire que le traitement judiciaire de la victime mineure n'est pas conforme aux droits humains, qu'il est indigne d'un Etat de droit. Donc il va falloir que l'on change les règles de procédure ou, si on ne les modifie pas, qu'on les traite en incluant finalement le soin, l'attention, la protection.