Le lancer de grenade de désencerclement n'était pas justifié: un policier sera jugé par la cour criminelle départementale pour avoir éborgné Jérôme Rodrigues, figure du mouvement des «gilets jaunes», lors d'une manifestation en janvier 2019 à Paris.
Le policier, Brice C., âgé de 34 ans, sera jugé par la cour criminelle départementale de Paris pour violence volontaire ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente par personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions, soit un crime passible de quinze ans de réclusion criminelle, ont ordonné vendredi deux juges d'instruction. La défense de Brice C. n'a pu être jointe par l'AFP dans l'immédiat.
Victime de la violence de l'Etat
«Cette décision est l'aboutissement du combat des victimes de violences policières pendant le mouvement des 'gilets jaunes'», a réagi auprès de l'AFP Me Arié Alimi, l'avocat de Jérôme Rodrigues, 45 ans, qui a définitivement perdu l'usage de son oeil droit.
Ce dernier, selon lui «a été la victime expiatoire de la toute-puissance de la violence d'Etat et de la brutalisation du maintien de l'ordre» et «a été moqué, comme tous ceux qui ont perdu un œil, par les forces de l'ordre et les syndicats de police». «Derrière le policier (...), c'est la police nationale, la préfecture de police de Paris et la politique d'Emmanuel Macron pendant le mouvement des 'gilets jaunes' qui seront jugées», a-t-il ajouté.
Légitime défense?
Le 26 janvier 2019, le policier, membre d'une compagnie d'intervention (CSI), agissait dans le cadre d'une manifestation tendue des «gilets jaunes», place de la Bastille. De nombreux jets de projectiles de manifestants sur les forces de l'ordre avaient nécessité l'usage d'un engin lanceur d'eau et de grenades lacrymogènes, rappellent les deux magistrats. C'est dans ce contexte que Jérôme Rodrigues avait été blessé à l'œil.
L'avocat de Brice C. a soutenu qu'il avait agi «en état de légitime défense», le lancer de grenade étant intervenu «dans un contexte insurrectionnel» et «en direction de personnes qui portaient atteinte à l'intégrité physique des policiers», est-il précisé dans l'ordonnance.
Il n'avait pas «la moindre intention de blesser grièvement qui que ce soit», avait-il précisé. Mais les témoignages et vidéos analysées ont permis d'établir que «le groupe au sein duquel évoluait Jérôme Rodrigues n'était pas violent» donc ne constituait pas «un attroupement violent (...) susceptible de permettre l'usage de la force publique», considèrent les juges d'instruction.
Un tir injustifié
«La doctrine d'emploi de cette arme, dont le caractère dangereux était largement établi et connu, était assez claire et stricte: elle ne pouvait être utilisée que dans des circonstances d'encerclement et de prise à partie par un groupe hostile précis, ce qui n'est pas le cas», insistent les magistrats, qui écartent donc la légitime défense. Pour eux, «aucun des éléments de ce contexte tendu contemporain du lancer de (grenade) n'a pu justifier ce dernier».
En revanche, les juges d'instruction ont ordonné un non-lieu en faveur d'un second policier, soupçonné d'avoir blessé à la jambe Michaël, un ami de Jérôme Rodrigues, par un tir de lanceur de balles de défense (LBD).
Une expertise criminalistique a conclu que la trajectoire du tir effectué par le policier n'était pas dirigée vers Michaël et n'avait donc pas pu l'atteindre. «Les images étudiées ne permettent pas d'expliquer quand ni comment» il a été blessé à la jambe, constatent les juges. Les deux fonctionnaires de police avaient été mis en examen en janvier 2021 pour avoir blessé les deux hommes.
Plus de 20 éborgnés
Lors de cette journée de manifestation à Paris, 18 manifestants avaient été blessés dont un en urgence absolue – Jérôme Rodrigues – un policier et six CRS légèrement blessés, six établissements bancaires et cinq commerces dégradés. Il y avait eu 64 personnes placées en garde à vue, selon l'ordonnance. Ce procès criminel sera parmi les premiers concernant les violences commises par des policiers lors des manifestations des «gilets jaunes» qui ont débuté à l'automne 2018.
Un autre policier, Fabrice T., sera également jugé par la cour criminelle départementale de Paris pour avoir éborgné avec une grenade lacrymogène Manuel Coisne, en novembre 2019. Vingt-trois éborgnés avaient été recensés par l'AFP lors du mouvement des «gilets jaunes» à l'hiver 2018-2019.