Le soleil. La mer. Une station balnéaire réputée pour ses clubs naturistes. Marine Le Pen et les 89 députés du Rassemblement national (RN) sont, ce week-end au cap d’Agde (Hérault), en version estivale et décontractée pour les journées parlementaires du parti d’extrême-droite français.
Normal: pour eux, le ciel politique est de plus en plus dégagé. La Suède s’apprête à basculer du côté de la droite dure, après la percée historique du parti des «Démocrates», ex-groupuscule néonazi devenu dimanche dernier l’une des premières forces politiques du pays avec 20% des suffrages et 73 députés. L’Italie pourrait suivre le même chemin dimanche 25 septembre si Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia obtiennent les 25% des voix que lui accordent les sondages, ce qui la désignerait comme candidate favorite pour la présidence du Conseil. Pas étonnant que, dans ces conditions, les cadres du RN soient tout sourire. Tous sont convaincus que le temps joue en leur faveur.
Bataille pour la présidence du RN
En surface, les chroniqueurs politiques français focalisent sur la nouvelle bataille qui agite l’ex-Front national, parti d’extrême-droite créé voici tout juste un demi-siècle par Jean-Marie Le Pen, le 5 octobre 1972. Le patriarche, dont Marine le Pen est la fille cadette, est aujourd’hui âgé de 94 ans. Après avoir installé son héritière comme présidente – avant que les deux ne se fâchent et divorcent politiquement – celui-ci devrait voir accéder le 5 novembre un nouveau venu à la présidence du mouvement qu’il a lancé jadis, entouré de nostalgiques de l’Algérie Française.
Deux candidats sont en campagne au cap d’Agde pour prendre la tête du RN dans quelques semaines. Et tous deux entretiennent des relations étroites avec la dynastie Le Pen. Le premier, Louis Aliot, 53 ans, maire de Perpignan, est l’ex-compagnon de Marine. Le second, Jordan Bardella, 27 ans, vit en couple avec l’une des nièces de Marine. Quel que soit le résultat, le parti national populiste sera donc au service d’une seule cause: la prochaine candidature présidentielle de sa cheffe, désormais présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale où le parti a obtenu en juin 89 députés, un nombre record et inespéré de sièges.
Un seul objectif dans son viseur: l’Elysée
Et Marine Le Pen dans tout ça? Un seul objectif est dans son viseur: le palais présidentiel de l’Elysée. Trois fois candidate à la présidence, la patronne du RN, 54 ans, a encaissé trois défaites successives en 2012, 2017 et 2022. Mais lors des deux derniers scrutins, elle s’est qualifiée pour le second tour, battue à chaque fois par Emmanuel Macron. Avec, en cinq ans, une progression considérable de voix: 33,9% en 2017; 41,9% en 2022.
Richard Werly dans «Les Informés» sur France Info, c'est ici
Le politologue Jérome Fourquet, de l’institut IFOP, en tire les conséquences: «Le soi-disant plafond électoral du Rassemblement national est devenu le plancher expliquait-il le 17 juillet au 'Journal du Dimanche'. A l’image du changement climatique, les températures exceptionnelles sont devenues la norme. Dans ce contexte, la perspective d’une victoire de Marine Le Pen en 2027 est une hypothèse de travail que l’on ne peut plus écarter d’un simple revers de la main.»
Tour de chauffe au Cap d'Agde
Les journées du cap d’Agde, ce week-end, seront à l’image de ce constat. Au-delà de la compétition pour la présidence du parti, Marine Le Pen n’a qu’une volonté: professionnaliser le plus possible sa formation; éviter que ses élus, désormais nombreux, ne dérapent dans des délires extrémistes à l’Assemblée nationale, accroître l’emprise de son parti sur le terrain et notamment dans les territoires ruraux qui souffrent d’abandon. La révélation des élections législatives de juin 2022 est en effet la dissémination du vote RN.
Hier, les nationaux populistes prospéraient sur les anciennes terres communistes du nord et de l’est désindustrialisés. Il était, dans le midi de la France, prisé des retraités demandeurs d’ordre. Les thématiques payantes étaient le rejet de l’immigration et la sécurité. Aujourd’hui, Le RN est devenu un grand parti social, perçu comme le seul à défendre les traditions d’antan, le mode de vie rural, les services publics. Il se présente comme le seul à prendre la défense des Français étranglés par la baisse de leur pouvoir d’achat. La rhétorique anti-immigrés reste prioritaire. L’éloge de la souveraineté nationale contre l’Union européenne fait toujours recette. Mais c’est au plus près des préoccupations des gens que le RN récolte ses voix et ses soutiens.
Retrouvez Richard Werly, invité de la RTS sur l'extrême-droite européenne
Eric Zemmour patine
Marine Le Pen présidente? Tous, aux journées du cap d’Agde, y croient déjà, alors que le second mandat d’Emmanuel Macron vient à peine de commencer. Ils misent sur l’incapacité du président français à gouverner, faute de majorité absolue à l’Assemblée, dans un pays où la tradition parlementaire de compromis n’existe guère. Ils constatent que la stratégie de l’outrance menée par le leader de la gauche Jean-Luc Mélenchon fait peur au sein de la classe moyenne, demandeuse de stabilité. Ils se réjouissent de voir que l’autre candidat présidentiel d’extrême-droite, Eric Zemmour patine et prend surtout des voix au sein de la droite traditionnelle déboussolée et en train d’exploser.
Eric Zemmour a fait, lui, sa rentrée politique le 11 septembre. Il a martelé ses attaques contre ce qu’il nomme «L’idéologie de l’aveuglement. Socialisme. Communisme. Fascisme ou antifascisme. Antiracisme. Ecologisme. Féminisme. Wokisme. Vivre-ensemblisme. Peu importe. C’est ce qui veut penser à notre place. C’est l’extrême déni de la réalité. C’est la négation du réel, la négation de l’Histoire, la négation des peuples, et jusqu’à la négation des sexes».
Bingo pour Marine Le Pen! Plus Zemmour tape fort, plus elle peut se normaliser, y compris sur le sujet de la guerre en Ukraine alors qu’elle a toujours critiqué vertement l’OTAN et soutenu Vladimir Poutine.
En cinq ans, de nombreux obstacles à surmonter
Marine Le Pen présidente? En cinq ans, les obstacles s’annoncent nombreux. L’histoire du RN est remplie de dérapages. Les questions de l’Europe et de l’euro restent cruciales pour les électeurs. Les milieux d’affaires restent hostiles à son parti. Mais la carte politique française et européenne est brouillée. Emmanuel Macron peine à reprendre l’initiative et ce qu’il propose, par exemple sur le durcissement du renvoi des étrangers clandestins cette semaine, alimente la pompe à voix du Rassemblement national.
«Les règles de la 'grammaire électorale' française ont manifestement changé» reconnaît le politologue Jérôme Fourquet. Conséquence: «Marine» peut, plus que jamais, conjuguer son avenir présidentiel au futur.